Responsable de la section économie environnementale au Centre Scientifique de Monaco, Nathalie Hilmi fait partie des 270 auteurs du rapport du GIEC intitulé «Changement climatique 2022 : impacts, adaptation et vulnérabilité ». Interview.
Ce sixième rapport du GIEC sonne une nouvelle fois le signal d’alarme ?
Ce rapport confirme que le changement climatique représente une menace pour le bien-être humain mais aussi pour la santé de la planète. L’objectif de l’accord de Paris visait à se tenir sous la barre d’une élévation de 1,5 degrés par rapport à la période préindustrielle. Or, nous sommes déjà à +1,1°C. La population vulnérable passe de 3,3 à 3,6 milliards de personnes. D’un point de vue économique, pour mettre en place un développement qui soit durable, juste, équitable et résiliant face au changement climatique, il faut des financements. Les pays développés devaient donner 100 milliards de dollars en 2020 or on n’a jamais atteint cet objectif. Mais si l’on ne fait rien, il faudra investir 127 milliards par an en 2030 et 300 milliards par an en 2050 ! Il existe encore des fenêtres de tir mais plus les années passent, moins il y aura d’options…
300 milliards en 2050, c’est le coût de l’inaction ?
Aujourd’hui, les investissements ont financé essentiellement l’atténuation du réchauffement climatique, c’est-à-dire la réduction des émissions de CO2. Or, même si on limite les émissions, les températures vont conti-nuer à monter car la fonte des glaces ne va pas s’arrêter de suite. Il faut adapter les villes face à l’augmentation du niveau de la mer, construire des digues. Les petits Etats insulaires en développement sont les pre-mières victimes du réchauffement climatique. Les petites îles risquent de disparaître, engendrant des migrations de réfugiés climatiques. Ce qui est vrai dans les îles l’est aussi pour les zones désertiques…
Et en Méditerranée ?
La Méditerranée est l’espace touristique le plus fréquenté au monde ! Et elle est actuellement menacée par l’érosion des plages, la hausse des températures ou encore la montée des eaux. Le niveau de la mer Médi-terranée a augmenté de 6 cm en moyenne au cours des vingt dernières années et il grimpe désormais de 2,88 cm par an !
Le réchauffement des mers a également pour conséquence des migrations vers le Nord de poissons à la recherche de zones plus clé-mentes. Pour les Etats du Sud, les plus fragiles, c’est une catastrophe. Cela peut engendrer des conflits entre pêcheurs.
La crise en Ukraine peut renforcer le choix des énergies renouvelables ?
On parle enfin de sobriété !
A court terme, le prix du carbone a baissé, ce qui n’est pas une bonne chose… Il faut absolument réduire les émissions, arrêter de consommer des énergies fossiles et se tourner vers des énergies renouvelables et soutenables (comme le nucléaire). Cette sobriété est valable pour notre mode de consommation numérique et alimentaire. La mondialisation a eu de très bons côtés et on est peut-être arrivé à ses limites. Le rap-port du GIEC préconise un développement durable et résilient face au réchauffement climatique. Il faut une équité climatique.
La finance bleue émerge-t-elle enfin ?
J’ai commencé à travailler sur la finance verte en 2006 dans un hedge fund. A l’époque, c’était du greenwashing… En 2010, quand je regardais ce qui se faisait à Monaco, il y avait très peu de choses. Aujourd’hui, de plus en plus de fonds s’intéressent à la finance soutenable. A Monaco, si on arrive à avoir un secteur financier et bancaire orienté vers la finance soutenable, ce serait un bel exemple pour le reste du monde.
Vous faites partie de ceux qui veulent donner un prix à la Nature. Comment ça marche ?
Aujourd’hui, la nature est perçue comme gratuite et abondante. Sa valeur n’a pas été prise en compte par nos systèmes financiers. Il est important de lui donner enfin un prix, à savoir une valeur calculée par rapport au service qu’elle rend à l’humanité. On regarde combien de carbone séquestre une forêt de mangroves, ainsi que ses bénéfices complémentaires : les mangroves permettent de filtrer l’eau, protéger la côte, limiter l’érosion liée à la montée des mers… Tout cela s’évalue. On a calculé qu’une baleine capture 33 tonnes de carbone durant sa vie, c’est l’équivalent de 2 millions de dollars par baleine sur le marché du carbone ! C’est un argument pour les financiers de protéger les baleines. Ce que l’on ne pourra pas évaluer, c’est la valeur spirituelle de la Nature… Pour les Polynésiens par exemple, les âmes des ancêtres se réincarnent dans les récifs coralliens, cela n’a pas de prix !
Le nouveau rapport du GIEC est axé sur les solutions tournées vers la nature ?
Le Giec a publié un troisième volet concernant les solutions à mettre en place pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Des solu-tions fondées sur la nature sont mises en évidence pour séquestrer le carbone (grâce aux marais salants, mangroves, baleines). Des solutions technologiques (utilisation de fertilisants par exemple) existent mais on n’a pas de recul sur leurs conséquences. Quand on rajoute un nouvel ingrédient au chaudron, on ne sait pas ce qui va en ressortir…
Propos recueillis par Milena Radoman