Pour mettre le cap sur l’avenir, la Principauté passe en mode numérique.
« Aujourd’hui, plus que jamais, le numérique est devenu pour chaque pays un sujet stratégique et critique. C’est pourquoi j’ai à cœur d’amplifier son usage au sein de la Principauté afin qu’il aide mon pays à écrire une nouvelle page et devenir un pays modèle en terme de numérique », avait déclaré le Prince Albert II lors de l’annonce du plan de relance post-Covid par le Numérique en septembre 2020. Et pour cause. Pour le Délégué interministériel en charge de la Transition Numérique Frédéric Genta, c’est une évidence : « On vit actuellement une révolution industrielle comme il y en a tous les 100 ans. L’électricité, la machine à vapeur, le numérique… ont bouleversé et bouleversent absolument la manière dont on travaille, vit, consomme, réfléchit, apprend, se fait soigner… Cette révolution industrielle s’est accélérée avec le Covid. »
L’enjeu est de taille pour Monaco. Il s’agit de gagner à la fois de la place et de la valeur ajoutée.
« On a déjà mis au point toutes les fondations : la 5G, la fibre, le Cloud souverain, l’identité numérique… Monaco dispose des infrastructures pour réussir dans le monde numérique et tirer avantage de la révolution industrielle que nous vivons pour son économie et son attractivité. Aucun pays en Europe n’en a déployé autant. Ces infrastructures concourent à étendre notre territoire jusqu’ici limité physiquement », estime Frédéric Genta.
L’une des mesures phares du plan de relance monégasque fut la création d’un fonds numérique pour accélérer la transformation de l’économie, le Fonds Bleu. Son but : financer aussi bien la formation, l’équipement et l’accompagnement des entreprises monégasques que le développement de plateformes locales type e-commerce, réservation de restaurant, paie-ment, ou encore la création de services sur le Cloud Souverain (comme la visio-conférence performante et sécurisée)… Depuis le lancement de ce plan, près de 400 entreprises ont reçu un financement du Fonds bleu, induisant la création de plus de 300 emplois dans le numérique. Les 20 millions d’euros investis dans le Fonds Bleu auraient ainsi généré plus de 153 millions d’euros de chiffre d’affaires supplémentaire pour les entreprises monégasques…
Projections
Dans le Monaco de demain, c’est toute l’économie traditionnelle qui va se métamorphoser. Les poids lourds du PIB monégasque devraient adopter des virages tech: le Real Estate Tech, le Smart Yachting, le Private Banking et le E-Sport. « L’archivage et la signature électronique feront gagner 12 à 14 000 m2 aux entreprises dont 6 000 m2 aux banques. La puissance de calcul pour nos banques doublée au Luxembourg est un argument important pour le secteur bancaire, très gourmand en intelligence artificielle. C’est un atout pour la place monégasque. Dans un environnement où chaque milliseconde compte, avoir la fibre partout avant la fin 2021, ça compte », illustre ainsi Frédéric Genta.
A quoi ressemblera l’économie numérique de Monaco dans 20 ou 30 ans ? « L’économie numérique sera l’économie. Parler d’économie numérique, c’est comme si on parlait d’économie électrique aujourd’hui ! » plaisante le Délégué interministériel.
Monaco s’inspire d’autres villes-Etats qui ont pris un train d’avance. Singa-pour promeut l’idée d’une « smart nation » depuis 2014. Sa stratégie vise à utiliser les nouvelles technologies pour digitaliser les services publics de la cité-État et accompagner les citadins dans leur vie quotidienne. Son objectif est de devenir un modèle de cité-État digitalisée et repousser, grâce aux innovations technologiques, les limites d’un territoire de 700 km2 pour 6 millions d’habitants. Singapour se positionne comme une sorte de laboratoire mondial grandeur nature de la ville de demain avec des expériences avancées sur les véhicules autonomes ou la mixité ethnique par quartier et même par immeuble. Et surtout la collecte massive des données combinée à l’intelligence prédictive du big data est utilisée dans tous les domaines pour modéliser les projets, planifier les transformations et tenter d’offrir les services les plus novateurs, qu’il s’agisse de la fluidité, de la sécurité, du confort des autobus ou de la localisation des crèches… « Ils ont mis en place les infrastructures, ont accueilli les multinationales comme Google, Amazon, ainsi que leur puissance de Cloud sur le territoire, ce qui leur a permis de devenir le centre de données de l’Asie. Singapour brille en tant que Smart Nation tout en restant le deuxième plus gros port au monde complètement numérisé… » explique Frédéric Genta.
La Corée du Sud, Dubaï, ou le Luxembourg sont également dans cette mouvance. « Comme pour toute révolution industrielle, les pays qui auront su prendre la vague dès le début, en s’équipant en puissance de calcul, en connectivité, en cerveaux ou encore en compétences, auront pris une avance exceptionnelle. Dans 10-15 ans, la suprématie économique dépendra des décisions qui sont prises maintenant », analyse Frédéric Genta selon qui de nombreuses technologies arriventaujourd’hui à maturité et vont influencer la société de demain. « On vit un moment unique dans l’histoire. On dispose d’une puissance de calcul énorme grâce au cloud, les algorithmes arrivent à des résultats, grâce à la blockchain, on peut produire de la preuve, de l’authenticité, de la sécurité, le télétravail se développe, les sources d’énergie se diversifient, l’hydrogène se développe… Toutes ces technologies vont profondément transformer le monde. » Des cadastres électroniques aux monnaies virtuelles, en passant par les véhicules autonomes…. « Tout ça aura un impact monumental sur l’urbanisme. Demain, les véhicules autonomes, s’ils sont répandus et utilisés en autopartage, pour les besoins réels, pourront réduire de 80% le nombre de voitures dans la rue… »
Enjeu environnemental
Comment passer au tout numérique quand on sait que les technologies numériques mobilisent aujourd’hui 10 % de l’électricité produite dans le monde et rejetteraient près de 4 % des émissions globales de CO2, soit un peu moins du double du secteur civil aérien mondial ? « Il est évident que transitions numérique et écologique sont intimement liées : pas d’action de développement durable d’ampleur sans le recours au numérique et dans le même temps le numérique peut s’avérer néfaste pour l’environnement s’il n’est pas maîtrisé et conçu avec le souci de l’éco-responsabilité. » C’est pourquoi selon Frédéric Genta, le Cloud Souverain, notamment, doit être « à la fois exemplaire écologiquement et contribuer aux actions de progrès environnementales. Monaco Cloud vise le « zéro carbone » pour 2025. » Après, tout dépendra des usages de l’Homme.« La technologie fait des prouesses. Le génie humain est capable de trouver des solutions technologiques à tous les problèmes. Aujourd’hui, on fait des data centers de plus en plus efficaces, avec des câbles sous-marins qui ne polluent quasiment pas. Mais tout cela est en permanence dépassé par ce qu’on appelle l’effet rebond. Une nouvelle technologie crée de nouveaux besoins qui sont tels que la solution technologique ne permet plus de compenser les effets écologiques », explique Guillaume Pitron dans son dernier livre « L’Enfer numérique Voyage au bout d’un like ». Ce qui implique que la meilleure réponse reste humaine et passe par la sobriété. « On n’a que 24H dans une journée, on ne peut consommer à l’infini devant un écran… » rappelle Frédéric Genta.
Miléna RADOMAN