Si Monaco est souvent associé à son Palais, à son Casino ou ses palaces, certains bâtiments permettent de comprendre l’ADN architectural et urbanistique du pays.
- Le musée océanographique, une prouesse technique
« La construction est vertigineuse. Elle semble faire corps avec la falaise. Le musée océanographique a des qualités esthétiques indéniables mais ce bâtiment néoclassique construit à flanc de falaise exprime surtout véritablement l’absence de l’espace à Monaco », selon le journaliste Jean-Philippe Hugron qui rappelle la volonté de réunir sur le Rocher à la fois le pouvoir princier, le pouvoir judiciaire, le pouvoir religieux et le pouvoir culturel et scientifique.
La construction du bâtiment, commencée en 1899, a été un véritable exploit d’ingénierie. Le site choisi, véritable contre-point du Palais Princier, semblait inexploitable. L’architecte, Paul Delefortrie, imagine un sous-bassement monumental débutant juste au-dessus du niveau de la mer. Conçu dans un style néo-gothique, il se distingue par son emplacement audacieux, s’ancrant majestueusement sur le flanc escarpé du Rocher de Monaco, par ses dimensions impressionnantes, 100 mètres de long et plus de 85 mètres de haut, ainsi que par les matériaux de prestige utilisés, pierres blanches de La Turbie et calcaire de Brescia. Ornant la façade, les sculptures de Gustave Dussart ajoutent une aussi une touche artistique à cet édifice scientifique.
- Le complexe des Spélugues, mégastructure discrète
« C’est un des rares exemples en Europe de ce qu’on appelle une mégastructure. Théorisées par des architectes à la fin des années 1970, les mégastructures sont des structures à très grande échelle qui accueillent une multiplicité d’usages et de fonctions et qui viennent épouser la topologie et abritent des infrastructures routières », explique Jean-Philippe Hugron. Le complexe des Spélugues intègre en effet un centre de congrès international (avec un auditorium de 1 300 places), un casino, un hôtel de luxe de 650 chambres et suites et un ensemble de 150 appartements. « Le tout devait tenir sur une étroite bande de terrain de 500 mètres de long. Pour compenser cette situation difficile, une large plateforme de béton d’une surface de 2,5 hectares a été imaginée ; ses pilotis plongent directement dans la mer Méditerranée. Le complexe des Spélugues cache derrière ses 35 mètres de haut un imposant tunnel routier rendu fameux par le Grand Prix de Monaco. Pour cet ensemble, l’architecte Jean Ginsberg décline les formes hexagonales qu’il répète et combine. » Le bâtiment est donc à la fois fonctionnel, habitable et accueille dans sa structure des routes. « Faire passer une rue dans un bâtiment, ce n’était pas concevable avant ce complexe ! Construit à la pointe du rocher de Monte Carlo, c’est une sorte d’extension en mer. Victor Vasarely imagine pour ce site visible depuis les jardins du Casino, l’« Hexagrace – Le Ciel, la Mer, la Terre », évocation du nom de la Princesse Grace, épouse du Prince Rainier III. »
- Le Simona, le renouveau de la verticalité
« Le Simona incarne le renouveau de la verticalité au sein de la Principauté qui pendant plusieurs années avait arrêté de construire des tours. Il a une forme très originale, une architecture iconique, très évocatrice. La tour est presque en rupture avec tout son environnement, tellement elle est exubérante. Elle est, à elle seule, un OVNI. Construite au début du règne du Prince Albert, elle symbolise ce renouveau architectural incarné politiquement par le Yacht Club de Norman Foster », analyse Jean-Philippe Hugron selon qui « Le Simona transgresse l’architecture « traditionnelle » et le pastiche « Belle Époque » pour enfin propulser Monaco dans la fantaisie qu’elle souhaite tant depuis plusieurs décennies. Jean-Pierre Lott aura réussi l’exploit d’imposer dans le paysage sa double fusée en résille ! 88 mètres de béton ! « L’adresse n’était pourtant pas évidente. La parcelle, en marge du Parc Princesse Antoinette, est marquée par une forte déclivité d’environ 20 mètres. Conséquence : l’accès de la tour s’opère depuis le 7e étage. En outre, la réalisation des fondations ne s’est pas faite sans difficulté : il aura fallu « éventrer » un tunnel et faire appel à des techniques exceptionnelles. Le tout pour 28 appartements seulement. Un tous les deux étages. Chaque logement se présente comme une « maison verticale » d’en moyenne 250 m2, en duplex, disposant de sa propre piscine, d’une loggia monumentale de 90 m2, d’un palier privatif et exclusif et d’une entrée de service. Pour tromper la répétition des étages, le volume est volontairement fractionné et l’absence (en apparence) de fenêtres ajoute à l’effet sculptural. »
4- Le One Monte Carlo ou le débat sur le patrimoine
« Ce bâtiment d’une grande qualité architecturale a posé la question de la préservation du patrimoine à Monaco. En tant qu’historien de l’architecture, vous m’auriez demandé s’il fallait garder le Sporting d’hiver, j’aurais immédiatement répondu oui. Pour autant, Monaco a une tradition de la modernité. Détruire pour reconstruire fait partie des spécificités et de l’identité de la Principauté», estime Jean-Philippe Hugron qui estime que le monumental édifice imaginé par l’architecte Charles Letrosne a cédé la place à un « quartier urbain ». L’agence britannique emmenée par le co-auteur du centre Georges Pompidou Richard Rogers « a créé une rue piétonne en cœur d’îlot reliant l’Hôtel de Paris, voisin, au parc de La Petite Afrique. En densifiant la parcelle, Rogers Stirk Harbour & Partners (RSHP) parvient malgré tout à libérer 30 % de surface au sol. Pour contrer l’effet de masse, l’agence a volontairement découpé l’ensemble – soit 40 boutiques (6 000 m2 environ), 48 résidences locatives de luxe (20 000 m2 environ), 5 000 m2 de bureaux, 3 000 m2 d’espaces de conférences, une salle d’expositions, une galerie d’art et 300 places de parking réparties sur 7 niveaux de sous-sols, dont une partie publique – en « pavillons » de hauteurs différentes allant de 6 à 12 étages. » « A Monaco, le paysage change en permanence et à une vitesse folle. Certes, il y a eu des destructions patrimoniales évidentes mais ce patrimoine est remplacé par des constructions de qualité donc on ne peut pas forcément parler de vandalisme et de destruction bête et méchante pour créer quelque chose de laid ou de peu qualitatif. Aux États-Unis, beaucoup de centres-villes notamment à Détroit ont été détruits pour laisser la place à des parkings… C’est l’absurdité poussée à son paroxysme » compare l’expert. Dans le cas du One Monte-Carlo, le chantier aura coûté 250 millions d’euros.
5- Le 26 Carré d’or, 9 appartements sur 19 étages !
« C’est une tour qui est assez élégante mais vous avez seulement 9 appartements sur 19 étages et 60 mètres ! A Nice, vous auriez 80 appartements… Cela donne le vertige. Cette tour symbolise le luxe et ça montre aussi les limites du modèle monégasque en termes de densité. Monaco est connu pour une densité de construction mais cette densité de construction ne vient pas forcément servir une densité de population et c’est là où le bât blesse », estime l’historien de l’architecture. Au 26 Carré d’Or, signée Alexandre Giraldi, la partie dédiée à l’habitation commence à partir du quatrième étage, avec quatre appartements de cinq pièces (400 m2) et quatre duplex (820 m2). Au sommet de la tour : un penthouse sur quatre étages de 1 650 m2 avec toit terrasse et piscine privative ! Les premiers étages sont consacrés aux commerces et bureaux.
6- La digue « semi-flottante », un brevet monégasque
En 2002, l’ouvrage titanesque de 352 mètres de long, large de 28 m, haute de 19 m pour un tirant d’eau de 16 m, destiné à protéger le port de la Condamine et accueillir des bateaux de croisière, a été tracté à la vitesse 5 km∕h par le remorqueur hollandais d’une compagnie spécialisée dans le transport des plates-formes pétrolières et qui a, entre autres, participé à la remontée du sous-marin russe, le Koursk. « Le convoi exceptionnel est parti d’Algesiras, en Andalousie où le monumental élément de béton a été construit dans une cale sèche, agrandie à l’explosif. Pendant trois ans, plus de 700 hommes se sont relayés pour réaliser ce qui devait être l’une des plus grandes prouesses de l’ingénierie maritime », rappelle Jean-Philippe Hugron.
L’une de ses particularités est sa rotule en acier (770 tonnes et 8 mètres de diamètre), qui la relie à la terre (un terre-plein d’un hectare gagné sur la mer.) « La digue est par ailleurs fixée à des pieux sous-marins situés à 55 mètres de profondeur par huit chaînes métalliques composées de 9 000 maillons de métal de 100 kg chacun. Une contre-jetée, réalisée par les Chantiers de La Ciotat, permet de protéger l’ensemble de la houle. L’ouvrage, désormais installé et fixé en bonne place, peut subir, au maximum, un déplacement de plus ou moins 2,5°. Il double la capacité du port qui propose. (…) L’opération réorganisation du port a coûté 335 millions d’euros dont 150 pour la seule digue. Le prix de la prouesse ! »