Après une énorme crise de confiance, l’année 2023 devrait être charnière pour l’univers des cryptomonnaies avec, entre autre, des projets de régulation du secteur. Un bouleversement observé attentivement par les acteurs de la finance traditionnelle.
Pour la cryptosphère, l’année 2022 aura été une annus horibilis. Les cryptomonnaies, perçues comme une alternative décentralisée et désintermédiée aux monnaies traditionnelles après la crise financière de 2008, avaient le vent en poupe. Après un cru 2021 marqué par des records de valorisation et de volume d’échanges (14 000 milliards de dollars contre 1 800 milliards en 2020), les cryptomonnaies ont vécu les montagnes russes. La preuve ? En l’espace d’un an, le bitcoin, la plus célèbre des crypto, a chuté d’environ 64% de sa valeur. Avec un point haut fin mars à près de 48 200 dollars et un plus bas à un peu moins de 15 500 dollars fin novembre… Les observateurs parlent même de « Bear market » pour ce secteur en crise, avec des dommages collatéraux sur le marché des NFT. L’économiste Nouriel Roubini, connu pour avoir pressenti la crise des subprimes dès 2006, parle des cryptomonnaies comme « la plus grande escroquerie de l’Histoire »… Pour le professeur à la Stern School of Business de l’université de New York, qui prédit une grande récession dans son dernier ouvrage « Megamenaces, « 80% des cryptomonnaies étaient des arnaques dès le départ. Leurs promoteurs ont acheté des Lamborghini, des bateaux, des villas dans les Caraïbes et ont dépensé des sommes folles dans les clubs de strip-tease à Miami. » De son côté, la Fed a carrément déclaré que l’activité liée aux cryptomonnaies est « très probablement incompatible avec des pratiques bancaires sûres et saines »… Le schisme entre cryptomonnaies et finance traditionnelle serait-il à son comble?
La débâcle causée par le scandale FTX
Comment en est-on arrivé là? Comme les autres valeurs de croissance, les cryptomonnaies ont certes pâti de la baisse des liquidités liées aux nombreuses hausses des taux des principales Banques Centrales au premier trimestre 2022. Mais elles ont surtout souffert d’une multiplication des affaires. Dès mai, c’est le stable coin Terra, indexé sur la valeur du dollar, qui s’est effondré soudainement, perdant toute sa valeur, et avec lui, la cryptomonnaie associée Luna ainsi que son écosystème. Des acteurs majeurs ont ainsi fait faillite comme la plateforme de prêts Celsius ou le fonds 3 Arrows Capital ou encore Voyager Capital.
En novembre, c’est au tour du scandale FTX. La deuxième plateforme d’échanges crypto mondiale a déclaré faillite suite à la découverte de la mauvaise gestion des fonds de son PDG, Sam Bankman-Fried. Tout le secteur en a été ébranlé, les plans de licenciements s’accumulant chez Coinbase, Kraken, crypto.com, etc. Selon Forbes, c’est bien simple: la fortune des dix-sept entrepreneurs et investisseurs cryptos milliardaires a enregistré 116 milliards de dollars de pertes, de mars à décembre. Il n’en resterait que sept… Parmi les crypto-investisseurs déchus de leur statut de milliardaire, il y a bien évidemment les cofondateurs de FTX, Sam Bankman-Fried et Gary Wang. Sam Bankman-Fried, arrêté aux Bahamas et jugé aux États-Unis pour fraude, risque jusqu’à 115 ans de prison. Son histoire alimente d’ailleurs aujourd’hui les scénaristes de Hollywood et des GAFAM Apple et Amazon…
Point positif: le scandale FTX devrait permettre aussi d’accélérer la réglementation globale des cryptomonnaies. Le G20 planche sur une politique commune avec à l’étude notamment, la fiscalité des cryptomonnaies. Le Conseil de Stabilité Financière (FSB), l’un des organismes de surveillance financière les plus puissants au monde, a annoncé qu’il promulguerait rapidement des réglementations sur l’industrie des cryptomonnaies au début de 2023. Si la mise en place du projet de loi MiCA (Markets in Cryptoassets), voté au niveau européen l’an dernier, est prévue dans les prochains mois, l’Autorité des Marchés (AMF) compte également accélérer le rythme de la régulation du secteur des cryptoactifs afin de protéger les utilisateurs des “brebis galeuses qui tendent à décrédibiliser toute une industrie”, selon la formule de sa présidente Marie-Anne Barbat-Layani, Présidente de l’Autorité des Marchés Financiers. Ce qui aura forcément un impact sur Monaco.
La Principauté vient de légiférer sur la création des prestataires de services sur actifs numériques et d’instaurer un régime d’autorisation spécifique. Une ordonnance souveraine ne devrait pas tarder à paraître pour orchestrer les sanctions et l’obligation d’information des acteurs de ce marché, et compléter ainsi le dispositif. « Les cryptomonnaies ou les cryptoactifs représentent un intérêt et un risque pour Monaco. Il y a donc une fine ligne à trouver par rapport à la réputation de la Principauté, car il faut être extrêmement prudent avec ces outils nouveaux et risqués », avait déclaré il y a un an Frédéric Genta devant les élus du Conseil National, listant les questions essentielles pour bâtir une stratégie: « Est-ce que l’on souhaite avoir en Principauté des “exchanges”, c’est-à-dire des plateformes de cryptomonnaies ? Est-ce que l’on veut accueillir des entreprises qui créent de la cryptomonnaie ? Ça pose aussi des questions écologiques, mais est-ce que l’on souhaite attirer des entreprises qui font des échanges ? Est-ce que l’on souhaite attirer des entreprises qui créent des services sur la blockchain ? Est-ce que l’on souhaite accueillir des résidents qui disposent d’avoirs en cryptomonnaies ? Est-ce que l’on souhaite que nos banques acceptent les cryptomonnaies, et si oui, lesquelles ? ». Avec son nouveau cadre réglementaire sur les cryptoactifs, l’État monégasque a déjà répondu à une partie des questions. Reste à savoir aujourd’hui, quel écosystème se développera concrètement dans les prochaines années. Une évolution scrutée par les acteurs de la finance traditionnelle. Aujourd’hui, les activités bancaires, financières et d’assurance représentent le deuxième contributeur au PIB monégasque avec 1,168 milliard d’euros.
Milena Radoman