Tant redoutée, l’inflation a désormais enflammé notre continent avec un taux moyen de 9 % au sein de la zone euro. Au-delà des pertes de pouvoir d’achat qu’elle entraîne pour les consommateurs et les détenteurs d’épargne, celle-ci génère aussi l’angoisse qu’elle ne casse, à terme, les reins à la reprise économique intervenue dès la fin de la période « glaciaire » de la pandémie Covid.
« Activité et érosion monétaire ne sont pas incompatibles en soi » souligne Paolo Di Gaeta, spécialiste des questions de finances interna-tionales, résidant en Principauté monégasque. « Toutefois, c’est une compatibilité sous condi-tions. D’une part, les niveaux de cette inflation doivent demeurer dans une marge compatible avec l’équation prix-salaires. D’autre part, le taux directeur de la Banque Centrale Européenne (BCE), lequel détermine les intérêts des crédits, ne doit pas dépasser, ou de très peu, la barre des 2 %. Au-delà de ce point, le coût des crédits s’élèvent tellement que les entreprises freinent ou annulent leurs projets d’emprunts pour investir. Un phénomène conduisant infailliblement à l’arrêt de la croissance, voire à la récession. Tout en ne perdant pas de vue, pour autant, qu’une certaine remontée du taux directeur est néanmoins nécessaire pour réduire la masse des liquidités monétaires en circulation, lesquelles sont l’une des origines, précisément, de cette inflation ». Mais alors, ne sommes-nous pas au bord du précipice, avec cette décision prise par la BCE de relever de trois quarts de point son taux directeur ? « Non, car nous partons du point 0 » répond Paolo Di Gaeta. « Donc, même avec ce relèvement, nous n’en sommes qu’à 0,75 %.
Donc bien loin de ce qu’il s’est passé en 2008 quand, pour surmonter la fameuse crise des subprimes née aux Etats-Unis, la BCE, dans le but d’amenuiser les masses d’argent non placées dans des investissements au service de projets productifs et durables, avait cru bon de porter son taux directeur à 4 %. Une décision qui avait aussitôt étouffé, et durablement, les économies des pays avec, pour conséquence, une montée en flèche du chômage ».
L’hypothèque du prix de l’énergie
Demeure l’autre condition évoquée plus haut : que le niveau de l’inflation se maintienne à un niveau maîtrisé afin que la croissance ne soit pas étranglée par une montée insupportable des coûts de production. « Pour analyser ce point », poursuit Paolo Di Gaeta, « Il faut considérer que l’actuelle hausse des prix a deux origines distinctes. L’une, ce sont les masses de liquidités que les gouvernements européens, avec l’appui bienvenu de la BCE, ont mis à la disposition des opérateurs économiques pendant la période aigüe de la pandémie Covid afin que ceux-ci puissent rebondir vers l’avant dès la levée des confinements. Cela a très bien marché mais, maintenant, le temps des robinets d’argent étant fini, cette source d’inflation, à laquelle tous les initiés s’attendaient, va progressivement se tarir. Malheureusement, il y a une autre origine au phénomène inflationniste actuel. En effet, dans une proportion d’au moins 50 %, la hausse des prix est issue du très fort renchérissement des ressources énergétiques (gaz et électricité en premier lieu), des céréales et des matières premières consécutif au déclenchement de la guerre russo-ukrainienne ».
Si, depuis quelque temps, les prix se détendent pour les céréales, en raison d’accords trouvés entre belligérants pour la circulation maritime en Mer Noire, ainsi que pour plusieurs matières premières grâce à la mise en place de circuits d’approvisionnement alternatifs, il n’en va du tout de même pour le gaz et, ipso facto, pour l’électricité dont une trop grande partie est encore fournie par des centrales thermiques. « Il y a, en effet, un cap à passer avant de retrouver une situation équilibrée sur ce plan, laquelle interviendra forcément grâce à une nouvelle montée en puissance de la production d’énergie d’origine nucléaire, éolienne, solaire, géothermique. Et puis, quand même, il ne faut pas désespérer de la fin du conflit en Ukraine. En attendant, pour passer ce cap, il n’y a pas d’autre solution, pour les États, les entreprises ainsi que pour les particuliers que d’entrer résolument dans la voie de l’épargne de l’énergie. Et s’il y a des dépenses qui doivent être consenties, dans un premier temps, pour parvenir à cette épargne, elles ne doivent pas être considérées comme des frais mais comme des investissements très rentables rapidement ».