Pour Monaco, l’année 2023 sera décisive pour les négociations d’un accord d’association avec l’Union Européenne. Elle le sera aussi pour quitter le suivi renforcé de Moneyval, l’organe anti-blanchiment du Conseil de l’Europe.
Monaco doit lutter plus efficacement contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, sous peine d’être épinglé sur la liste grise du GAFI en 2024… C’est en substance le message de Moneyval, dans un rapport que la Principauté s’est dite immédiatement « déterminée à mettre en œuvre rapidement ». Fin janvier, le comité d’experts anti-blanchiment du Conseil de l’Europe a en effet placé la Principauté sous suivi renforcé. Une procédure classique, appliquée à près de 50 % des membres du comité, obligeant les autorités monégasques à « rendre compte des progrès réalisés en mars 2024 ».
- Mais que reproche Moneyval concrètement ?
Dans un rapport détaillé de 323 pages, l’organe anti-blanchiment du Conseil de l’Europe a mesuré l’efficacité de l’arsenal législatif et réglementaire monégasque mais aussi l’implication du secteur privé pour lutter contre le financement du terrorisme, le blanchiment des capitaux et la prolifération des armes. En se basant sur une visite en principauté en mars 2022, au sortir de la crise sanitaire liée au Covid-19, Moneyval « reconnaît le travail considérable entrepris dans l’identification des risques » liés au blanchiment d’argent, mais exige que les autorités monégasques « (intensifient leurs) efforts en matière d’enquêtes et poursuites de blanchiment de capitaux, de confiscation et recouvrement des produits du crime, et (renforcent leur) système de supervision ».
Selon le Conseil de l’Europe, « les lacunes relevées en lien avec les contrôles d’honorabilité et de probité des bénéficiaires effectifs (BE) et avec la compréhension des risques compromettent la capacité des autorités à mener une supervision adaptée pour un certain nombre d’assujettis ». Si les banques jouent le jeu des déclarations de soupçon, casinos et bijoutiers ont un train de retard selon Moneyval. Le rapport s’inquiète aussi du « très faible nombre de condamnations obtenues » – et ce malgré l’instauration en 2018 d’un mécanisme de présomption de blanchiment – et du nombre « encore plus réduit de mesures de confiscation ordonnées ». Sur la période 2017-2021, 192 enquêtes ont été ouvertes à Monaco, mais seulement 19 poursuites ont été lancées, en ce qui concerne le blanchi-ment de capitaux. « Les sanctions (…) sont limitées, non proportionnées aux griefs relevés, non dissuasives et imposées tardivement », analyse le rapport. Quant aux demandes d’extradition adressées à Monaco, elles sont rejetées dans un cas sur deux.
2. Quelles sont les recommandations ?
Monaco va devoir remédier au « manque notable de ressources humaines et technologiques au Service d’information et de contrôle sur les circuits financiers (SICCFIN) », mais aussi à l’expansion économique, et dans la justice, ou encore aux pouvoirs d’enquête limités du procureur général…Ce qui implique de recruter en masse en 2023, pour pouvoir utiliser de manière efficiente des outils modernes d’analyse des risques, comme le fichier STRIXS.
Autre recommandation du rapport : « En juillet 2021, la Principauté compte près de 20 000 sociétés, soit, rapporté au nombre d’habitant, environ une société pour deux habitants. La Principauté de Monaco devrait analyser en profondeur le risque d’utilisation de son secteur financier pour blanchir les produits issus de la fraude à l’impôt sur le revenu et autres types d’infractions fiscales non réprimées par le droit monégasque, commises à l’étranger » notamment « en considérant que l’absence d’incrimination puisse être une vulnérabilité intrinsèque ». Une appréciation politique étonnante qui remet en cause le droit de Monaco de ne pas soumettre à un IR ses nationaux et résidents, et ce même si Monaco pratique l’échange automatique d’informations fiscales avec les administrations étrangères… « La Principauté de Monaco devrait (également) affiner son analyse de risques liés à certains secteurs et activités (casino, CSP, trusts et actifs virtuels) et menaces (criminalité organisée) avec un examen plus détaillé des données disponibles dans sa prochaine évaluation nationale des risques. Une analyse plus approfondie et plus granulaire, distinguant les menaces internes et les menaces externes, devrait être menée », suggère Moneyval. Ainsi, s’ils saluent les mesures « efficaces » mises en place pour les sociétés commerciales (comme le régime d’autorisation des sociétés), les experts notent que « les sociétés civiles (qui représentent 79% des sociétés recensées à Monaco), notamment celles à vocation immobilière, sont les plus à risques de BC/FT, suivi par les sociétés à responsabilité limitée actives dans le secteur du yachting, celles à vocation financière ou immobilière puis les sociétés anonymes monégasques. Or, « malgré les obligations d’inscription échues depuis 2020, seules 31% des sociétés civiles (et 78% des sociétés commerciales) ont déclaré leur(s) bénéficiaire(s) effectif(s) au registre dédié », les fautifs n’étant pas sanctionnés.
Comment a réagi le Gouvernement ?
Le Gouvernement monégasque a immédiatement exprimé « sa pleine adhésion aux recommandations formulées », notant « que ce rapport reconnait les progrès significatifs et les efforts déployés par les autorités monégasques ». « La Principauté est déterminée à poursuivre la mise en œuvre des recommandations de Moneyval afin d’être en conformité avec les normes internationales les plus exigeantes au terme de la période de suivi de douze mois. Nous allons donc poursuivre et amplifier notre action », a commenté le jour-même le Ministre d’État Pierre Dartout.
Qu’est ce qui va se passer d’ici mars 2024 ?
L’adoption de nouvelles mesures a déjà démarré. « Suite aux recomman-dations des évaluateurs de Moneyval, le Conseil National (l’Assemblée Législative monégasque) a adopté plusieurs textes de loi à la fin 2022, notamment dans des domaines aussi importants que l’entraide judiciaire internationale, la saisie et la confiscation des instruments et produits du crime », a souligné le Ministre des Finances Jean Castellini. Les prochains mois vont nous permettre de renforcer nos mesures et nous serons prêts pour l’échéance de Mars 2024 ».
Le Gouvernement a mis en place un Comité de suivi chargé de l’adoption des recommandations du rapport1, présidé par le Ministre d’État. Le 23 mars 2023, il s’est réuni pour fi naliser un Plan d’Action national en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, le fi nancement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive. « Ce Plan se compose de nombreuses mesures concrètes et opérationnelles à l’effet de renforcer signifi cativement les actions existantes pour faire face aux menaces en matière de criminalité́ fi nancière. Des échanges constructifs sont également intervenus en vue d’améliorer le dispositif de gel de fonds et des ressources économiques », a indiqué le Gouvernement. Un plan d’actions déterminant : si Monaco n’apportait pas les améliorations nécessaires, il pourrait être placé sur la « liste grise » du GAFI à la mi-2024. Monaco était sorti de la liste noire des paradis fi scaux non coopératifs dressée par l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) suite au G20 de Londres, le 2 avril 2009.
- Le Conseil National s’est ému de n’être représenté dans ce comité « que dans le cadre du second collège, au même rang que les organisations professionnelles monégasques participantes ».
Milena RADOMAN