Le tribunal du travail règle les conflits liés à l’exécution ou la rupture du contrat de travail. Focus sur ses particularités.
1.La singularité de sa composition
L’organisation du tribunal du travail ressemble à celle des Prud’hommes français avec une procédure de conciliation et un bureau de jugement. Mais la différence notable est que le bureau de jugement, qui comprend deux juges salariés et deux juges employeurs, est présidé par un magistrat professionnel appelé juge de paix. Pas de prosélytisme ou de parti pris au sein de ce tribunal présidé par un employeur, Michel Gramaglia, et un employé, Karim Tabchiche, secrétaire général adjoint de l’USM. « Dès la première phase de jugement, nous prenons une décision collective à 5. Chaque représentant des employeurs et des salariés a une vision impartiale et équitable des dossiers. Ils ont tous conscience de leur mission et de leur serment. Ils sont exigeants vis-à-vis de leurs pairs. Comme les magistrats, ils ont une clause d’empêchement. S’ils se sentent trop impliqués par un conflit, ils se déportent », explique Cyrielle Colle, Présidente du Bureau de jugement du Tribunal du Travail. A noter que les 48 assesseurs (24 employeurs et 24 salariés. Nommés pour 6 ans) sont bénévoles.
2.Quelle est la procédure ?
La requête introductive d’instance, téléchargeable sur le site « service-public.gouv.mc », doit être expédiée au Tribunal du Travail afin d’obtenir une convocation pour une audience de conciliation afin de trouver un terrain d’entente. Cette phase de conciliation obligatoire est une spécificité monégasque. Si les parties ne trouvent pas d’accord en conciliation, l’affaire est renvoyée devant le Bureau de jugement. Les plaidoiries sont réalisées en audience du bureau de Jugement. Avant le jugement, chaque dossier est débattu à cinq. « Mon rôle est d’identifier les problématiques juridiques, d’exposer l’état du droit et de la jurisprudence. Nous en discutons ensemble et il n’y a pas de voix prépondérante », précise la juge de paix Cyrielle Colle, rappelant qu’il faut faire prévaloir « l’équité dans le jugement des situations ».
3.Un contentieux majoritairement contre l’employeur
Au tribunal du travail, la nature du contentieux est très variée. Cas de harcèlement, renouvellement abusif de CDD, application non conforme de l’article 6… Les saisines viennent en grande majorité des salariés. « De temps en temps, on a des demandes émanant d’employeurs à l’encontre de salariés pour des violations de clause de non-concurrence ou des remboursements d’indemnités de préavis mais c’est anecdotique. Plus de la moitié du contentieux concerne des licenciements. Il y a beaucoup de contestations des motifs utilisés par l’employeur pour licencier le salarié. L’article 6, soit le licenciement sans motif, concerne 15 à 20% des licenciements (10% du stock global) », estime Cyrielle Colle. « C’est énorme et ça laisse sous-entendre qu’il y a beaucoup plus de licenciement sans motif à Monaco, puisque très peu vont au tribunal pour contester un motif dont les salariés n’ont aucune explication. Juridiquement la charge de la preuve de l’abus revient au salarié et cela le fragilise beaucoup », explique Olivier Cardot de l’USM qui milite « pour l’obligation de motiver le licenciement dans la lettre de licenciement ».
4.Les affaires en cours
Selon les statistiques, les stocks ont baissé ces deux dernières années. Il y a 213 dossiers en cours dont 59 affaires nouvelles en 2022/2023 devant le bureau de jugement du Tribunal du Travail. Pourquoi cette diminution ? « C’est parfois lié aux affaires liées. Il arrive de manière cyclique qu’un conflit individuel concernant plusieurs salariés vienne devant le tribunal du travail », explique Cyrielle Colle. Dans le stock actuel, une centaine de dossiers concernent ainsi l’application de la même convention collective. Dans le passé, d’autres affaires concernant plusieurs employés de jeux de la Société des Bains de Mer (exigeant qu’à travail égal ils aient le même salaire) sont venus ainsi gonfler les chiffres.
5.De nombreux dossiers de harcèlement
« La loi de 2017 sur le harcèlement est la principale modification du droit du travail qui n’a pas changé ces dernières années. Il y a eu une augmentation des dossiers de harcèlement à partir de 2020 suivie d’une stabilisation des saisines. On est sur une moyenne de 10% de dossiers de harcèlement contre 5% avant 2020 », explique Cyrielle Colle. Avant même la loi, la question du harcèlement était traitée par le tribunal du travail sous l’angle de l’exécution de bonne foi du contrat de travail.
Milena Radoman