Aujourd’hui, le télétravail est rentré dans les mœurs. Les grosses sociétés l’ont adopté.
Au moment du vote de la loi encadrant le télétravail en 2016, les autorités monégasques étaient très optimistes. Elles tablaient sur un recours à ce nouveau mode de travail par 500 et 5 000 salariés (soit entre 1 et 10% de l’ensemble des salariés), et par 7 000 et 10 000 contrats à moyen terme (soit entre 18 et 26%, dans la moyenne européenne)… C’est finalement un événement inattendu, une crise sanitaire d’ampleur inégalée, qui a accéléré l’adoption du travail à domicile… Face à la pandémie du Covid-19, plus de 10 000 salariés de la Principauté sont restés travailler à la maison à 100% dès mars 2020. Un dispositif dérogatoire de travail à distance instauré par le gouvernement pour limiter la propagation du virus et éviter le brassage de population au bureau et dans les transports en commun. « Le Covid a complètement changé la donne. 10 000 personnes en télétravail du jour au lendemain, c’était impensable dans un autre contexte ! », rappelle Pascale Pallanca, Directrice du Travail, selon qui la crise a modifié les mentalités et les clichés. « Les employeurs qui estimaient que ce n’était pas pour eux, se sont rendus compte que leurs employés jouaient le jeu et se sont même révélés dans cette organisation du travail. Par crainte que leur entreprise ferme ou de perdre leur emploi, les salariés ont montré une grande flexibilité et implication », analyse Yohann Jaffrelot, le spécialiste du télétravail, à la Direction du Travail.
Un effet boost du Covid
Renouvelée à de nombreuse reprises, la mesure d’exception est maintenue jusqu’au 31 mai. Aujourd’hui le «vrai» télétravail, qui obéit à un cadre précis (3 jours hebdomadaires fixes maximum, nouveau permis de travail, etc. – Voir l’article « Ce que prévoit la loi ») « concerne, lui, 120 entreprises et 2216 salariés habitant à Monaco ou en France (50% hommes et femmes). Surtout dans la finance, qui est le secteur numéro 1, le shipping, le digital et les cabinets de conseil. Le secteur pétrolier est également bien représenté avec la SBM Off shore Monaco, dont les salariés représentent un peu moins de la moitié de la totalité des salariés en télétravail… », ajoute la Directrice du Travail, précisant que « la plupart des salariés télétra-vaillent un à deux jours par semaine ». Lesquels ? « C’est très variable. C’est l’employeur qui fixe dans le dispositif cadre, les jours pouvant être télétravaillés. Chez les salariés, les demandes sont aussi très variables. Certains aiment bien le mercredi pour faire déjeuner les enfants, d’autres surtout pas », lâche en souriant Pascale Pallanca.
Et ce n’est peut-être qu’un début de l’accélération : « De nombreuses entreprises ont décidé de sauter le pas après l’expérience du Covid. Les demandes augmentent régulièrement, le dispositif dérogatoire de travail à distance va booster les effectifs. » Si aujourd’hui 80% des salariés ayant signé un contrat de télétravail résident en France, une nouvelle convention bilatérale signée avec l’Italie en mai 2021, après plus de cinq ans de discussions, va permettre aux salariés italiens de la Principauté de bénéficier du dispositif. « Cet accord pose le principe selon lequel les télétravailleurs résidant en Italie pourront être assujettis à la législation sociale monégasque, pendant toute la durée de leur activité en tant que télétravailleurs pour le compte d’une entreprise installée sur le territoire de la Principau-té », indique le Gouvernement. «Le projet de loi a été déposé par le gouvernement italien en décembre 2021. Nous avons eu déjà des demandes de sociétés pour des travailleurs italiens. Il y avait une crainte de voir le travail à distance s’arrêter et de ne pouvoir basculer sur le régime légal. Avec l’accord, il n’y a plus de problème d’affiliation aux caisses monégasques prévues par les termes de l’accord», estime Pascale Pallanca.
Un argument à l’embauche
Le télétravail a donc le vent en poupe. « Maintenant, c’est même devenu un argument à l’embauche. Certains employeurs nous disent que des candidats viennent chez eux car ils ont mis en place cette organisation de travail, et sont prêts à accepter un salaire moins élevé, face à un concurrent qui s’y refuse… » souligne Yohann Jaffrelot. Les arguments plaidant en faveur du télétravail sont classiques : « C’est un avantage considérable pour le salarié, un gain en temps (trajets, embouteillages), en efficacité (moins d’interruptions) et en réduction du stress. Cela accorde une plus grande autonomie dans le travail et une meilleure conciliation entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Les entreprises, elles, réalisent des économies substantielles (lumière, électricité..), peuvent réduire la superficie de leurs locaux et/ou augmenter leur capacité d’embauche », jugent Pascale Pallanca et Yohann Jaffrelot. A condition bien sûr d’éviter les écueils de l’hyper-connexion et du surmenage corollaire, et pour les patrons, de la défiance et du contrôle intrusif. Certains employeurs utilisent en effet des outils plus ou moins légaux pour s’assurer que leurs salariés travaillent malgré la distance…
Pour l’Etat, « le télétravail présente de nombreux intérêts tant sur le plan économique qu’environnemental. Les perspectives de créations d’emplois, donc de cotisations sociales plus im-portantes, devraient sécuriser l’équilibre des comptes de nos Caisses ; en rendant possible une diminution des déplacements quotidiens des salariés à destination de Monaco, il contribuera également à fluidifier les conditions de circulation, pour l’accès à la Principauté », espérait déjà le rapporteur de la loi Jean-Charles Allavena en 2016.
Miléna RADOMAN