Depuis 25 ans, Sylvie Biancheri préside aux destinées de cette « bête à deux têtes » qu’est le Grimaldi Forum, outil majeur de la culture et du tourisme d’affaires en Principauté. Et ce n’est pas fini…
Dali, Super Warhol, New York New York, Les années Grace Kelly… Sur le mur principal, la juxtaposition d’affiches des expositions organisées par le Grimaldi Forum permet une immersion dans l’histoire du centre culturel et des congrès. Tandis qu’à l’angle, la baie vitrée donne sur les travaux de l’extension en mer qui permet d’agrandir sa capacité de plus de 6 000 m2. De son bureau, la Directrice Générale peut ainsi bien se replonger dans le passé que se projeter dans l’avenir de cet établissement dont elle a vu l’évolution avant même son ouverture…
Reconversion
Entraînée par son mari Franck Biancheri, qui sera bientôt appelé au Gouvernement, cette Sylvie Biancheri parisienne, diplômée de l’ESLSCA Business School Paris a posé ses valises en Principauté en 1995. Le hasard de la vie fait qu’elle y retrouve une tête connue : le Ministre d’Etat Paul Dijoud, en poste entre 1994 et 1997, qu’elle avait croisé lorsqu’il était encore Ambassadeur de France en Amérique latine. Après avoir rejoint la Seita en qualité de contrôleur de gestion, cette cadre dynamique avait travaillé au Crédit Lyonnais en tant que responsable des financements de la zone Amérique latine…
A Monaco, Sylvie Biancheri opère une reconversion professionnelle. Exit la finance. Vive le tourisme d’affaires. « Le secteur banque export dans lequel je travaillais n’existait pas ici mais le chantier d’un centre culturel et des expositions se profilait », souffle la Monégasque, recrutée pour mettre à profit l’expérience acquise dans de grands groupes
internationaux d’abord à la Direction du Tourisme et des Congrès puis à la cellule de préfiguration du Grimaldi Forum. « À l’origine, sa vocation était exclusivement culturelle. L’Auditorium Rainier III qui accueillait les congrès se faisant trop petit, il a été décidé que le futur bâtiment soit polyvalent pour pouvoir concurrencer des places comme Nice ou Cannes. Le programme a été refondu, le chantier arrêté. La salle des Princes, déjà construite sous la mer, comptait 1 300 places, on a recreusé pour créer un balcon et arriver à une salle spectacle de 1 900 places… Les 2/3 des salles sont sous la mer… »
Pour Sylvie Biancheri, le défi était majeur : « On me disait que le Grimaldi Forum allait être tout le temps vide… Entre 1995 et 1998, le tourisme d’affaires représentait à peine quelques millions d’euros de chiffre d’affaires par an ! Quand les congrès restaient plus de 2 jours, on leur offrait l’hébergement… »
Des expositions coups de poing
A la cellule de préfiguration, implantée à l’Auditorium, Sylvie Biancheri travaille en tandem avec le futur DG Stéphane Martin mais également avec le Directeur des Ballets Jean-Christophe Maillot sur la future programmation culturelle. « Nous souhaitions créer des événements où nous serions légitimes. C’était le cas avec la danse, compte tenu de l’histoire monégasque des Ballets russes de Diaghilev. Maillot était bouillonnant, la mayonnaise a aussitôt pris pour initier le Monaco Dance Forum ! » raconte la Directrice Générale, fière que sa scène XXL (avec un plateau de 1 000 m2 comparable à celui de l’Opéra Bastille) permette dorénavant de jouer également de grands livrets d’opéra avec des chœurs ou certaines pièces du Théâtre Princesse Grace. L’objectif est aussi de marquer les esprits avec des expos coups de poing. « Il n’y avait pas de grandes expositions de très haut niveau. » Il faut taper fort, « étonner sans choquer », selon la formule du Prince Rainier. « Dès l’inauguration en 2000, on a donné le ton avec Air-Air, une exposition innovante où des œuvres gonflables occupaient tout l’espace du bâtiment. Personne n’attendait Monaco dans le milieu de l’art contemporain… »
Le souvenir de ce 20 juillet 2000 reste encore présent dans son esprit. « Il a commencé à pleuvoir au moment même où le bâtiment était inauguré… » rigole Sylvie Biancheri qui se rappelle surtout parfaite-ment « du discours inspirant du Prince Rainier rappelant qu’on n’a pas besoin d’être un grand pays pour faire de grands choses… » Pour le prouver, le Grimaldi Forum négocie, grâce au voyage officiel du Prince Albert en Chine, la venue d’une partie de l’armée en terre cuite de Xian « qu’aucune autre nation européenne n’a eu… ». Les premières années, Sylvie Biancheri, DG adjointe qui prend les rênes du Grimaldi Forum en 2002, multiplie les déplacements pour convaincre le monde culturel. S’appuie sur sa caution scientifique Catherine Alestchenkoff et les commissaires de chaque exposition, pour se faire prêter des œuvres exceptionnelles. De Picasso à Bacon. « Aujourd’hui, il est de plus en plus difficile de faire de grandes expositions. Les coûts du transport, de l’énergie et des assurances ont explosé, le Smic a augmenté… tout est cher. Il ne serait plus possible d’organiser SuperWarhol ! » regrette cette femme cartésienne, tenue par l’organisation des congrès pour amortir cet investissement.
« Réussir l’extension »
Toutes les expositions produites au Grimaldi Forum ont vocation à être exportées à l’étranger. En 2019, le centre avait signé en février un protocole d’accord culturel avec le groupe Galaxy Entertainment Group. La première grande étape prévue était l’exposition «Grace Kelly, from Hollywood to Monaco», combinaison des expositions «Les années Grace Kelly» et «Prince et Princesses de Monaco, une dynastie européenne». « La pandémie nous a un peu coupé les pattes mais on compte bien reprendre cette activité… » confie Sylvie Biancheri qui a annoncé un planning d’expositions très ambitieuses : Turner avec la Tate en 2024 et les chefs d’œuvre du centre Pompidou qui ferme ses portes pour rénovation en 2025. « Ce sera leur première expo hors les mur ». Côté tourismes d’affaires, la Monégasque a réussi à remplir le Grimaldi Forum. « On a pulsé très vite avec une soixantaine de congrès dès la première année et les fidèles de la première heure comme Luxe Pack. »
Aujourd’hui, le Grimaldi Forum compte 120 événements par an. Si le chiffre d’affaires est monté jusqu’à 22 millions d’euros en 2019, la pandémie l’a fait chuter brutalement. « On est à 85% environ d’une année classique et l’année prochaine on remontera encore », espère la DG qui n’hésite pas à privilégier le tourisme d’affaires sur la culture s’il le faut. La dirigeante, qui gère une subvention de l’Etat de 7 millions d’euros, peut de plus compter sur les m2 supplémentaires apportés dès 2025 par l’extension en mer Mareterra. « La commercialisation a commencé il y a un an, les réservations marchent bien », se réjouit la DG qui s’est « battue pour avoir cet agrandissement. Tout le monde voulait des m2 ! » Et qui se bat encore pour un nouvel hôtel en capacité d’accueillir ses nouveaux congressistes. Après 25 ans aux manettes du Grimaldi Forum, cette mère de famille énergique compte bien vivre à 60 ans cette nou-velle ère importante pour l’établissement. « Faire en sorte que cette extension soit une réussite, c’est un beau challenge », s’enthousiasme cette femme de tête qui avait reçu le Prix Trofémina dans la section Business en 2006.
Par Milena RADOMAN