Autorité centrale chargée de la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la corruption, le Service d’Information et de Contrôle sur les Circuits Financiers (SICCFIN) regarde avec grande attention le développement des cryptoactifs.
« Pour le système international, les cryptomonnaies représentent un défi supplémentaire. Les actifs virtuels peuvent constituer un support potentiel privilégié pour les pratiques de blanchiment et de financement du terrorisme, et opacifier les flux financiers en distendant le lien entre la transaction et ses auteur », prévient le Directeur du SICCFIN Michel Hunault, de retour du Gafi où ce sujet brûlant était au cœur des discussions.
Dans le radar: le nombre d’attentats terroristes liés ou financés avec des cryptomonnaies, comme le Bitcoin, aurait quadruplé en « quelques années », concernant désormais environ 20% des attaques, selon l’ONU. Une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU appelle d’ailleurs les États membres à lutter contre les risques liés à la crypto et au financement du terrorisme. Même si l’argent liquide restait la méthode de financement préférée des organisations terroristes…. « Certains terroristes affichent sur leurs réseaux des adresses Bitcoin pour appeler aux dons et éviter les acteurs financiers régulés », note Benjamin Aouizerat, chef du pôle crypto actifs au SICCFIN. « L’anonymat est particulièrement recherché par les organisations criminelles. Ainsi, ces dernières privilégient les réseaux permettant d’anonymiser l’origine des fonds », ajoute Michel Hunault, pour qui « le risque est important ».
Un pôle dédié aux cryptoactifs
Face à ce risque, le gendarme anti-blanchiment monégasque se met en ordre de bataille. « A mon arrivée en 2018, l’une de mes premières actions a été de créer un pôle dédié aux cryptoactifs. Ce qui fait du SICCFIN l’une des premières CRF au monde à avoir pris cette initiative », indique Michel Hunault. Concrètement, le pôle dédié délivre des formations ouvertes aux autres services de l’État, de la police à la justice, en passant par la CCAF. Histoire de se familiariser à la technologie des crypto, comprendre les usages des criminels, y compris sur le darkweb, et comment tracer une opération…
Les crypto impliquent de se doter d’outils de surveillance. Aujourd’hui, « quand un acteur assujetti à la loi anti-blanchiment comme un établissement bancaire reçoit des fonds émanant de Kraken par exemple, issus d’une conversion crypto/euros, il doit se poser la question de l’origine des fonds. On regarde systématiquement les dossiers qui concernent ces opérations dans le cadre des missions de contrôle », explique Benjamin Aouizerat. Pourquoi une telle vigilance? « On peut très facilement télécharger un CryptoWallet et avoir accès au marché des cryptoactifs. En dehors des grosses plateformes, beaucoup d’opérateurs ne respectent pas les standards internationaux de lutte contre le blanchiment en matière d’identification du client. Ce qui facilite les transferts de fonds illégaux… » D’où l’intérêt d’avoir recours à des outils de traçage comme Chainalysis, principal fournisseur d’outils et de services d’investigation blockchain pour les polices aux États-Unis et en Europe, afin de traquer l’utilisation criminelle des cryptos et recouvrer des fonds.
Bientôt un nouvel outil de surveillance
C’est par exemple grâce à Chainalysis que le FBI a pu tracer et récupérer 2,3 millions de dollars sur la rançon en cryptomonnaie payée par l’entreprise Colonial Pipelines. Ou encore grâce à eux que le fisc américain, l’Internal Revenue Service, a pu saisir l’équivalent de 3,5 milliards de dollars en 2021 en cryptomonnaies… « Nous avons eu des contacts avec Chainalysis et Ciphertrace. Le SICCFIN va devoir se doter d’un outil d’analyse performant», indique Benjamin Aouizerat. Pour l’heure, « aucun cas de financement du terrorisme lié à des cryptomonnaies n’a été détecté à Monaco. Jusqu’à présent, il n’y avait pas de prestataires pour actifs numériques implantés en principauté et des transactions marginales, la donne va peut-être changer avec le nouveau cadre légal », rappelle Michel Hunault.
Milena RADOMAN