Impact sur le secteur privé, conséquences sur le PIB, baisse des investissements… Dans une étude, le cabinet Phoenix consulting a quantifié les conséquences économiques d’un scénario tant redouté dans des pays placés en liste grise.
Le classement d’un pays sur la liste grise du GAFI n’a rien d’anodin. Au-delà du déficit d’image, les répercussions sont nombreuses pour l’économie d’un pays, à commencer par une baisse potentielle du PIB. C’est ce que conclut l’étude de Sébastien Prat, à la tête du cabinet Phoenix Consulting Monaco et secrétaire général de l’AMCO. « L’objectif initial de l’inclusion d’un pays à cette liste est de l’inciter à se conformer davantage aux normes du GAFI, l’impactant alors de manière forte économiquement » résume-t-il. Le GAFI se sert ainsi du processus « name and shame » pour provoquer des réformes importantes et nécessaires. « Selon le GAFI, un passage en liste grise devrait en effet entraîner des coûts plus élevés pour les partenaires commerciaux internationaux du pays en question, en raison des mesures supplémentaires imposées, voire les priver complètement de la possibilité de faire des affaires avec ce pays. »
Un phénomène de « de-risking »
Première conséquence : « Le “de-risking” est un phénomène qui voit les institutions financières étrangères prendre leurs distances avec des contreparties, des correspondants bancaires, des clients ou des pays considérés comme présentant des risques élevés en matière de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme… Les coûts élevés de la conformité, les risques pour la réputation et la complexité des transactions sont autant de facteurs qui poussent les institutions financières à éviter de traiter avec des pays jugés à risque », note ainsi Sébastien Prat. L’impact est tangible sur les paiements transfrontaliers. Selon une étude de 2016 du Centre for Global Development, « l’inscription sur la liste grise entraîne une baisse de 7 à 10 % en moyenne des paiements entrants vers les pays figurant sur la liste grise. »
Une baisse des investissements étrangers
Autre phénomène : « Un passage en liste grise peut également décourager les investisseurs étrangers dans ces régions, qui voient alors le passage en liste grise comme un signe potentiel d’une instabilité financière, juridique et fiscale », relève l’étude du Cabinet Phoenix, citant l’exemple de la Turquie, qui a subi une importante baisse des investissements étrangers (IDE) après avoir été inscrite sur la liste grise en 2011, sortie en 2014, puis réinscrite en 2021. « Les investissements directs étrangers sont passés de 19 milliards de dollars à 5,7 milliards entre 2007 et 2020, tandis que les obligations détenues par des étrangers sont tombées de 25 % en 2016 à environ 5 % en 2021 ».
La baisse du nombre de correspondants bancaires
« Les institutions bancaires et financières ressentent l’impact le plus significatif, avec une diminution du nombre de correspondants bancaires, même avant l’inscription sur la liste grise.
Malte a enregistré une baisse de 20 % du nombre de Relations Bancaires Correspondantes (RBC) entre 2011 et 2019. Par exemple la Bank of Valletta (BOV), première banque maltaise, perd l’ensemble de ses correspondants bancaires pour les transactions en USD juste avant le passage de Malte en liste grise. »
La baisse du PIB du pays concerné
Plus inquiétant, selon un rapport du Fonds Monétaire International, un passage en liste grise peut avoir un impact négatif important sur son PIB. Et ce, surtout si un pays reste de manière prolongée au sein de la liste grise. Entre 2008 et 2019, le passage du Pakistan sur la liste grise entraîne une baisse de son PIB atteignant jusqu’à 4% par an. « Les contextes économiques du Pakistan et de Monaco diffèrent considérablement. A titre d’exemple, le secteur financier, qui est particulièrement touché lorsqu’un pays est placé sur la liste grise, ne représente qu’environ 4% du PIB au Pakistan, alors qu’il constitue plus de 16% du PIB à Monaco. Les répercussions sur le PIB d’une juridiction comme Monaco seraient donc bien supérieures à celles observées au Pakistan », estime Sébastien Prat.
Des impacts à court terme pour le secteur privé
C’est l’une des principales craintes du secteur privé : l’augmentation des coûts liés à la conformité pour les professionnels assujettis. Notable, elle se manifeste à plusieurs niveaux, comme le montre l’étude de Phoenix Consulting, à commencer par les coûts opérationnels (notamment recrutement de personnel qualifié). Ainsi, « en 2021, ceux de HSBC Malta augmentent de plus de 10% du fait du renforcement des contrôles sur les clients et les opérations, et à l’investissement dans de nouveaux outils digitaux (KYC, ERP, screening). On observe des augmentations de coûts similaires chez tous les professionnels assujettis, dont les grandes banques maltaises. » A cela s’ajoutent l’investissement dans des solutions technologiques, le coût réputationnel (campagnes de communication, sensibilisations internes, mise en place de rapports extra-financiers, etc.) mais aussi le coût des transactions et opérations. « Les entreprises des pays listés sont confrontées à un autre problème : les transactions deviennent plus complexes lorsqu’elles traitent avec des partenaires étrangers, entraînant une possible altération des relations internationales. Les opérations locales deviennent également plus chronophages et coûteuses en raison de contrôles plus rigoureux sur les clients et les opérations ce qui, en retour, allonge les délais et augmente les coûts associés aux transactions. Certaines entreprises situées dans des pays non listés choisissent même refuser de collaborer avec des entités basées dans des pays en liste grise », indique Sébastien Prat. Sans oublier le coût des sanctions : « A Malte, nous observons que les montants des sanctions imposées aux professionnels assujettis non financiers (EPNFD) explosent à partir de 2020. Elles sont multipliées par 53 ! »
Milena Radoman