Pour Philippe Ortelli, Président de la Fédération des Entreprises de Monaco (FEDEM), si travailler à Monaco reste intéressant financièrement pour les salariés, « les principaux freins à l’attractivité demeurent l’accès à Monaco et le logement des actifs à proximité».
EMPLOI
Vous aviez communiqué à une époque sur le fait que Monaco était un « paradis salarial ». Est-ce toujours le cas selon vous et pourquoi ?
Oui, Monaco reste toujours attractif pour les salariés, que ce soit en termes de salaires, de prestations sociales et médicales, mais aussi pour l’environnement de travail stimulant d’un tissu de PME où on connait et peut échanger en direct avec son patron qui est souvent propriétaire de sa société.
Les salariés bénéficient en effet d’une rémunération nette plus élevée que dans la région économique voisine, d’allocations familiales nettement supérieures, ce dès le premier enfant, d’une meilleure couverture santé, d’une retraite de base plus avantageuse à carrières identiques et à durée de cotisation égale.
Le Gouvernement organise un nouveau forum de l’emploi pour booster certains secteurs qui peinent à recruter. Constatez-vous une baisse de l’attractivité de la place dans un contexte post-Covid et de grande démission ?
Oui et non. Même si Monaco a dépassé les 55 000 emplois dans le privé, certains secteurs ont effectivement des difficultés à recruter.L’hôtellerie-restauration, le BTP, le numérique, et certaines industries, sont plus particulièrement impactés. Notre rapport au travail a été profondément modifié par la crise sanitaire, et c’est encore plus vrai pour les jeunes générations qui sont plus mobiles, réclament plus de travail à distance, et ne veulent pas perdre plus de 2 heures par jour dans les embouteillages, ou les transports en commun souvent défaillants, pour accéder à Monaco !
Ce forum de l’emploi est une bonne initiative, qui a suscité un fort engouement, mais insuffisante. L’assouplissement de certaines conditions d’embauche en est une autre, de même que le développement du télétravail. Fin 2022, 4 324 salariés, soit environ 8% des salariés du secteur privé*, y ont eu recours. Il est nécessaire d’assouplir le cadre juridique pour en faciliter le recours dans l’entreprise, sans excéder les 2 jours hebdomadaires, mais en permettant que ceux-ci soient librement choisis pour s’adapter aux contraintes du moment. Cela passe par une évolution de la loi n°1429 encadrant le télétravail à Monaco, et notamment de la procédure à respecter. La formation est aussi un facteur d’attractivité : créer à Monaco des filières spécifiques à certains secteurs pénuriques permettrait de constituer des viviers de jeunes talents.
Comme nous l’alertons régulièrement, les principaux freins à l’attractivité demeurent l’accès à Monaco et le logement des actifs à proximité. Du fait des tarifs élevés des logements, nos entreprises doivent recruter des personnes venant de plus en plus loin, ce qui leur fait perdre des candidats de valeur qui refusent de consacrer quotidiennement plus de deux heures par jour pour accéder à leur lieu de travail et en repartir. Ce sont les problèmes de fond à résoudre en urgence pour que Monaco puisse poursuivre sa croissance économique et continuer à développer l’emploi.
Quelles en sont les raisons selon vous ?
L’épargne accumulée pendant la période Covid, et le temps à penser, ou plutôt à rêver. Cela ne durera qu’un temps et la réalité du monde, et de la situation économique dégradée en Europe, va revenir fortement à la figure de certains doux rêveurs. Nous sommes étranglés par les prix du pétrole (du gaz et de par voie de conséquence de l’énergie en général) et notre continent s’appauvrit. Par exemple, la France a vu son classement du PIB/habitant passer du 13ème rang mondial en 1980, au 19ème en 2005, puis au 24ème en 2022…
Le développement de l’Intelligence Artificielle (IA) est aussi à prendre en compte. Des exemples récents montrent que l’IA devrait redistribuer les cartes du marché de l’emploi dans les années à venir. En France, une entreprise de veille médiatique va licencier plus de 200 personnes au profit d’une IA**, et pour la première fois une IA a piloté un avion pendant plus de 17 heures lors d’un test*** !
Avec 60 000 salariés, le marché de l’emploi à Monaco semble très dynamique mais les dernières projections tablaient sur 100 000 salariés pour conserver le modèle social actuel. Quelles sont les projections des études d’actuaires pour les prochaines années (2030 ? 2050 ?)
Si le système économique est préservé, les caisses de retraites ne devraient pas connaître de gros problème à l’horizon d’une génération (30 ans). Bien sûr, l’ajout de nouvelles contraintes sur les entreprises, d’atteintes à la liberté d’entreprendre, ou tout simplement de charges, aurait un effet désastreux pour tous.
Le CDI est-il aujourd’hui le principe et le CDD l’exception ? Quelle est la répartition CDI, CDD et Intérim ? Quelle est aujourd’hui la tendance et l’évolution des contrats de travail ?
Je me répète car les faits sont têtus : le CDD et l’intérim à Monaco sont très minoritaires dans l’emploi et plus de 80 % des salariés sont embauchés en CDI. Le secteur du bâtiment naturellement a besoin de la souplesse du CDD et de l’intérim, qui offrent une meilleure rémunération aux salariés concernés.
Les caisses se portent bien ? Pas de réforme à l’horizon ?
Il nous paraît important de travailler sur la base de l’assurance maladie et de l’accident de travail (AT). Les prestations se devraient d’être établies sur le salaire de base et sur l’éventuelle prime de 13eme mois, mais pas sur les heures supplémentaires ni les primes spécifiques non contractuelles. Certains en abusent et tombent malade ou en AT juste après le paiement d’une prime, ce qui fait qu’ils touchent plus à l’arrêt que ceux qui continuent à travailler et à percevoir leur salaire net. Le travail doit payer davantage que l’inactivité, afin de ne pas encourager les abus.
RETRAITES
Selon la FEDEM, « à salaires identiques entre la France et Monaco, les retraites sont 35 à 110 % plus élevées ». Est-ce ce toujours le cas depuis la réforme de 2012 ?
Oui, même si les chiffres ont peut-être diminué un peu.
Le Fonds de réserve de la Caisse autonome des retraites (CAR) représentait en 2010, 571 millions d’euros, soit 68,5 mois de paiement des pensions. A combien s’élève-t-il aujourd’hui ?
À l’époque, le Fonds de réserve réévalué s’élevait à un milliard d’euros, et il est aujourd’hui de 1,4 milliard d’euros, soit l’équivalent de 56 mois de pensions. Il faut aussi se rappeler que l’AGIRC-ARRCO en France n’a que 11 mois de réserve pour payer la retraite complémentaire qui est un régime par points comme le nôtre.
Monaco a désormais sa caisse de retraite complémentaire autonome. Quel sera le taux de rendement ? Sera-t-il supérieur aux régimes précédents ?
Le taux de rendement sera légèrement supérieur à celui de l’Agirc-Arrco par accord paritaire.
Etes-vous favorable à un licenciement conventionnel à Monaco ?
Non, car c’est une fausse bonne idée. Telle qu’elle est rédigée par le législateur, la rupture conventionnelle est assujettie à des conditions de validité très rigoureuses qui obligent les parties à respecter une procédure complexe et inadaptée à un tissu de PME/TPE, et cela sans apporter de sécurité juridique.
Remplacerait-il le licenciement sans motif ? Le licenciement sans motif est constitutionnel à Monaco. Le Tribunal Suprême l’a rappelé dans sa décision du 2 décembre 2020 qui consacrait notamment la liberté pour l’employeur d’embaucher et de licencier, corollaire de la liberté contractuelle de rompre le contrat reconnue au salarié. L’article 6 de la loi n°729 permet déjà une rupture de contrat de travail sans que le salarié perde ses droits au chômage et avec des indemnités supérieures. Gardons un système efficace au lieu de rêver d’un monde idéalisé de bisounours…
En pratique combien de cas de « licenciements article 6 » sont-ils recensés par an ?
En 2022, le Tribunal du Travail a jugé au total 76 affaires. Parmi celles-ci, seulement 10 à 15%**** de l’ensemble des affaires jugées concernaient l’article 6, soit seulement une dizaine de cas dans l’année sur les quelque 55 000 salariés du secteur privé.
Que préconisez-vous pour améliorer la situation des salariés (logements pour actifs…) ?
Vous pointez là le vrai problème de nos salariés : les décisions irrationnelles prises par notre grand Pays voisin impactent fortement la vie de nos salariés. Comment peut-on accepter que seulement 7% de ceux-ci puissent accéder aux HLM que l’on impose de construire dans les communes limitrophes, alors qu’en France en moyenne 70% des salariés peuvent y accéder ?
Nous créons en moyenne plus de 1 000 emplois par an depuis 20 ans pour des résidents français qui y paient leurs impôts, et aucune nouvelle infrastructure de transport n’a été réalisée depuis plus de 20 ans !!! Il est urgent de mettre en place une ligne de métro allant de l’Aéroport de Nice à Monaco, qui donnera un avenir à 100 ans (pour les 100 prochaines années) à notre collectivité de vie, en améliorant (très significativement ou drastiquement) la qualité de l’air en plus !
*Source : IMSEE, Observatoire de l’Emploi 2022, paru en avril 2023
*** https://www.lebigdata.fr/ia-pilote-un-avion ****https://monaco-hebdo.com/actualites/judiciaire/tribunal-du-travail-prudhommes-monaco/
Milena Radoman