L’intelligence artificielle (IA) transforme le secteur financier. Porteuse de solutions innovantes, elle présente aussi des risques importants.
« Il est communément admis de penser que la gestion financière du patrimoine se situe à la frontière de l’art et de la science. L’intelligence artificielle sera-t-elle le « Game changer » de l’investissement financier ? L’incertitude comportementale des marchés va-t-elle être remplacée par une certitude programmée ? » Cela fait partie des questions que se posent bon nombre de professionnels de la place bancaire monégasque, comme l’exprimait encore le président de l’AMF Robert Laure à l’occasion d’un colloque sur l’intelligence artificielle et la finance fin 2024. Logique : nous sommes bien face à une véritable révolution industrielle dont l’IA est l’une des composantes avec le Big Data, la blockchain et l’Internet des objets (IoT). « L’avènement de l’intelligence artificielle marque une nouvelle ère dans l’histoire des innovations technologiques. Tout comme la machine à vapeur et l’ordinateur ont révolutionné leurs époques respectives, l’IA promet de transformer notre monde avec une portée et une rapidité sans précédent», résume bien Alexandre Hezez, stratégiste du groupe Richelieu.
Il n’y a qu’à voir comment l’arrivée de ChatGPT a bouleversé les usages. Deux mois après son lancement, OpenAI captait déjà 100 millions d’utilisateurs… « Cette révolution ne se limite pas à une amélioration des processus existants ; elle ouvre la porte à de nouvelles façons de penser, de travailler et de résoudre des problèmes complexes. Les systèmes d’IA peuvent en effet analyser d’énormes quantités de données, apprendre de leurs expériences et améliorer continuellement leurs performances sans guidance humaine directe. Cette capacité d’auto-amélioration et d’adaptation ouvre des possibilités auparavant inimaginables».
Améliorer le KYC et repérer les fraudes
Dans le secteur financier, les applications sont innombrables. Grâce à l’analyse des données clients, l’IA peut offrir des recommandations personnalisées et des produits financiers sur mesure, en améliorant le KYC (Know Your Customer). Grâce à des algorithmes, l’IA analyse une tonne de données pour décider où et quand investir. C’est un peu comme un “conseiller financier virtuel” qui ajuste le portefeuille selon le profil de l’investisseur (aversion au risque, horizons de placement, etc. Les banques utilisent aussi l’IA pour repérer les transactions frauduleuses. En observant des schémas de comportements “normaux”, elle peut alerter quand une transaction semble suspecte. Par exemple, une transaction inhabituelle dans un pays étranger ou un retrait soudain de grosses sommes peut déclencher une alerte grâce aux modèles d’IA. Quant au traitement du langage naturel (NLPou analyse des textes), il permet à l’IA de lire des articles, des posts sur les réseaux sociaux et des communiqués financiers pour “sentir” l’opinion du marché. D’où des investissements dans l’IA qui grimpent en flèche. Selon International Data Corp, les ventes de logiciels, de matériel et de services liés à l’IA augmenteront de 29 % pour atteindre 400 milliards de dollars en 2027. D’après la société d’études de marché, les dépenses effectuées à ce chapitre dans le secteur financier vont plus que doubler pour atteindre 97 milliards de dollars en 2027 ; cela représente une croissance annuelle composée de 29 % qui place le secteur au premier rang parmi les cinq principaux secteurs à cet égard !
« On n’arrête pas une vague, il faut apprendre à surfer dessus »
Le changement de paradigme semble inéluctable. « On y est pour le meilleur et pour le pire », souffle l’expert en IA Jean-Philippe Desbiolles*, vice-président de la division d’IBM dédiée à l’intelligence artificielle. Celui qui est surnommé le “French Doctor Watson” par le magazine Forbes appelle chacun à être proactif et non passif. « Afin que ce soit pour le meilleur, l’humain doit rester au centre de la boucle pour ne pas s’en extraire… L’IA c’est comme le surf. On n’arrête pas une vague, il faut apprendre à surfer dessus ». Selon lui, il faut même la considérer comme un véritable « collègue de travail » avec lequel il faut collaborer pour optimiser les résultats. La prochaine étape étant l’IA l’agentique. Soit des systèmes d’intelligence artificielle de nouvelle génération, capables de prendre des décisions de manière autonome, sans intervention humaine. Exemple : des chatbots nouvelle génération pouvant interagir de manière autonome avec les visiteurs du site, répondre à des requêtes complexes et même prendre des décisions pour résoudre des problèmes sans nécessiter d’intervention humaine…
Risques pour la stabilité financière
Miser sur l’IA n’implique pas pour autant de le faire à l’aveugle.Surtout compte tenu des risques que cette technologie génère. C’est pourquoi l’Europe, dans une approche des risques, a posé des garde-fous avec l’IA Act. Pour ces cas d’usage du secteur financier, le règlement confie le rôle « d’autorité de surveillance du marché » aux superviseurs financiers nationaux – et donc en France à l’ACPR, l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution. « Certains systèmes d’IA sont particulièrement opaques, générant un phénomène de «boîte noire ». C’est bien sûr un enjeu de protection de la clientèle, car un client doit pouvoir comprendre une décision automatisée prise à son endroit. Mais c’est aussi un enjeu de gouvernance : un établissement qui comprend mal les décisions que prennent ses systèmes d’IA ne peut prétendre en maîtriser les risques », alerte Denis Beau, premier sous-gouverneur de la Banque de France. Autre risque : les modèles d’IA peuvent en effet, malgré eux, être “biaisés” : ils peuvent favoriser certaines personnes ou entreprises en fonction des données qu’ils utilisent. Par exemple, un algorithme d’évaluation de crédit pourrait discriminer inconsciemment certains profils et exclure certaines populations de l’accès au crédit. D’où la question : comment rendre ces modèles plus équitables et transparents ?
Par ailleurs, Gary Gensler, le grand patron de la Commission des valeurs mobilières des États-Unis, s’est fendu d’une communication pour prévenir qu’une l’IA pourrait provoquer une crise financière. Les risques qu’elle fait peser sur la stabilité financière exigent « une nouvelle réflexion sur les interventions systémiques ou macroprudentielles », a-t-il déclaré. « L’IA peut accroître la fragilité financière, car elle pourrait favoriser un comportement moutonnier, les acteurs prenant des décisions similaires parce qu’ils reçoivent le même signal d’un modèle de base ou d’un agrégateur. » Ce risque ne peut être mis sous le tapis. Tout comme enfin l’impact sur l’emploi. Avec l’IA qui se charge de nombreuses tâches répétitives (comme l’analyse de données ou la détection de fraudes), certains métiers risquent de disparaître. Les entreprises doivent anticiper ces changements et mettre en place des programmes de reconversion et de formation pour leurs employés. Selon un rapport du FMI sur l’impact de l’IA publié en janvier 2024, 60 % des emplois des économies avancées étaient menacés par l’intelligence artificielle (IA)…
*Auteur des livres “L’IA sera ce que tu en feras : les 10 règles d’or de l’intelligence artificielle” et tout récemment “Humain ou IA ? Qui décidera le futur ?“,