Pour les acteurs financiers, la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme est un passage obligé. Anna Curau, gérante associée de la filiale de Geneva Compliance Group (GCG) à Monaco, une société en conformité spécialisée dans la compliance et la gestion des risques ou encore le reporting lié à l’échange automatique de renseignements, explique l’enjeu que représente cette mise aux normes pour les entreprises de la place.
Quel est l’état de la réglementation de lutte contre le blanchiment d’argent à Monaco?
Monaco a fait énormément de progrès depuis sa première législation en 1993 et sa modification en 2009. Les récentes transpositions des 4e et 5e directives européennes ont représenté un grand pas en avant. Ces transpositions sont obligatoires depuis que Monaco a signé en 2011 un accord monétaire avec l’UE et l’invitants à adopter des mesures équivalentes en la matière. Et comme le montre le dernier rapport de Moneyval, Monaco est assez bien notée et se conforme aux obligations européennes et internationales en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
Que prévoit la 6e directive européenne déjà introduite dans les pays de l’UE et s’appliquera-t-elle à Monaco?
La 6e directive harmonise la définition du blanchiment d’argent dans l’ensemble de l’UE éliminant des lacunes nationales. Elle fournit une liste de 22 infractions principales qui constituent le blanchiment d’argent, y compris certains délits fiscaux; la criminalité environnementale et la cybercriminalité y sont incluses pour la première fois. Le changement le plus important concerne le renversement de la charge de la preuve incombant désormais à la personne morale qui doit démontrer qu’elle a pris des mesures suffisantes pour empêcher le blanchiment de capitaux. La directive couvre également des obligations des prestataires de services sur crypta-actifs.
Quant à Monaco, son positionnement reste à définir. C’est un domaine qui nécessite l’adoption d’un nouveau cadre légal (surtout en matière d’actifs virtuels). Compte tenu de l’accord de 2011, il semble toutefois très vraisemblable que la Principauté mette en œuvre les principes de la 6ème directive.
Quelles sont les failles qui subsistent ?
Un dispositif efficace suggère des moyens efficaces. Cette efficacité anti-blanchiment dépend de nombreux facteurs: qualité du renseignement financier reçu par les autorités, délais de son traitement, ressources humaines qualifiées, nombre de mesures de gel des avoirs et de confiscations, nombre d’enquêtes initiées, droit d’opposition exercé, etc. Selon les derniers rapports d’activité Siccfin (2019, 2020), ces critères ne cessent de progresser globalement (une baisse étant observée en 2020 due au Covid-19). Même si les autorités de contrôle renforcent leurs moyens et outils qualitatifs, le rapport sur l’Evaluation Nationale des Risques 2021, précise que certaines vulnérabilités sectorielles persistent encore, au niveau des assujettis, notamment: manque des procédures internes ou leur actualisation; caractère non homogène des vigilances effectuées ;absence des formations internes; approche fondée sur les risques incomplète ou peu assimilée; manque d’outils internes de surveillance des clients ou transactions à risque accru.
La formation anti-blanchiment devient cruciale afin d’améliorer la qualité des déclarations de soupçon par les assujettis. Il faut surtout éviter les déclarations de soupçon parapluies, effectuées pour la forme et peu détaillées, qui ne peuvent donner lieu à aucune investigation ultérieure du régulateur.
Quelles sont les professions concernées par la lutte contre le blanchiment d’argent?
La loi 1.503 du 23 décembre 2020 transposant la Sème directive a élargi le périmètre des assujettis. Les banques sont habituées depuis longtemps à ces obligations, même si à partir du 30 novembre 2021, elles doivent en plus rapporter chaque mois aux autorités compétentes toute nouvelle ouverture de compte ou d’un coffre-fort. Parmi les nouveaux assujettis, nous pouvons citer les agents immobiliers, marchands d’art, bijoutiers, avocats, multi-family offices, marchands de biens et agents sportifs. Quelle que soit leur taille, ces sociétés ont besoin de connaître leurs clients, de vérifier leur identité, de documenter l’origine des fonds et d’effectuer une analyse des risques. De nombreuses structures n’ont pas les moyens humains, matériels et techniques d’assumer une telle responsabilité et d’assurer cette prévention. Un cabinet comme le nôtre peut les accompagner pour mettre en place des procédures de vigilance, réfléchir aux risques que génère leur activité, former leurs équipes internes, assister lors d’un audit prudentiel ou aider avec la préparation d’une éventuelle déclaration de soupçon.
A partir de quel moment y a-t-il un risque de blanchiment? Faut-il se montrer particulièrement soupçonneux pour éviter une éventuelle sanction ?
Un cas de blanchiment est toujours lié à une infraction préalable sousjacente (p.ex. fraude fiscale, corruption, délit d’initié, terrorisme etc). Une éventuelle sanction sera quant à elle la conséquence d’un défaut de vigilance ou de la non-conformité du dispositif interne de l’assujetti l’empêchant de détecter des situations d’infractions préalables, des comportements inhabituels ou des critères à risque imposés par la loi. Parmi ces derniers, la loi prévoit une vigilance accrue vis-à-vis des pays à risque, des personnalités exposées politiquement étrangères et nationales, des produits favorisant l’anonymat, ainsi que le cas où les bénéficiaires refusent de donner leur identité.
Il y a toujours des Panama ou des Pandora Papers. Les sociétés offshore ont-elles toujours la cote ?
En tant que cabinet de conformité, nous ne sommes pas en position de commenter l’opportunité de l’utilisation de sociétés offshores qui ne relève pas directement de notre activité. Néanmoins, nous constatons que la plupart de ces fuites de données concernent des affaires remontant à plus de 15-20 ans. Les faits reprochés à Monaco datent d’une époque où l’arsenal législatif n’était pas complet et où il n’y avait pas encore de standard multilatéral d’échange d’informations fiscales comme nous le connaissons aujourd’hui.
Plus concrètement, les dossiers évoqués dans ces publications concernent à 90% l’achat d’un bien via les structures offshores gérées par des administrateurs, trustees ou avocats. Or, ces professions sont désormais extrêmement bien régulées avec les mêmes exigences que les banques à Monaco. Ils mettent en place des déclarations de soupçon, subissent des contrôles et déclarent les bénéficiaires effectifs. A cet effet, un registre des bénéficiaires effectifs 1 des sociétés et des trusts a été mis en place à Monaco depuis 2018, rendu public en 2021 (avec un accès encadré). Les sociétés monégasques et certaines catégories de trusts ont l’obligation de déclarer leurs bénéficiaires effectifs auprès de ces registres, et les services compliance ont l’obligation de signaler toute incohérence entre l’information déclarée aux registres et celle reçue du client.
Nous ne pensons donc pas que les faits révélés dans les Pandora Papers reflètent la situation actuelle en Principauté.
Enfin, quant à la problématique de la confidentialité des données soulevées par ces publications, elle devrait être plutôt au service de la transparence et le respect de la vie privée et des affaires. Monaco s’est dotée d’un cadre robuste d’autorisations par son régulateur – la CCIN (y compris pour transférer des données dans certains pays jugés non équivalents). Ce cadre sera davantage aligné avec les standards européens en matière de la protection des données avec le projet de loi annoncé fin décembre 2021.
Quelles sont les prochaines étapes pour Monaco ?
L’agenda réglementaire s’annonce riche et pleine d’actualités : l’évaluation de Monaco par Moneyval à partir de mi-février, l’adaptation de deux projets de loi anti-blanchiment et celui sur la protection des données, le projet de loi voté en décembre 2021 modernisant les Services Financiers. Cela amène les assujettis monégasques à revoir et actualiser leurs dispositifs existants. Ils devront veiller à des prochaines mises à jour des textes, et à ne pas manquer d’aligner leurs procédures internes, le paramétrage d’outils, les niveaux de risque avec des nouvelles exigences. Enfin, les assujettis devront apporter une attention particulière au niveau de compétence en conformité de leurs collaborateurs ou partenaires externes.
1. Soit toute personne physique qui détient ou contrôle, directement ou indirectement, 25% oo plus du capital d’entités, à l’exception des sociétés cotées; Soit constituant, trustee, protecteur. et bénéficiaires pour les trusts.
Propos recueillis par Milena Radoman