Le Conseil National joue un rôle dans l’évaluation des politiques publiques, y compris de l’urbanisme. Rencontre avec le Président Thomas Brezzo et Jade Auréglia, Vice-Présidente de la commission Environnement, et spécialiste dans la modélisation et la simulation des problématiques urbaines et foncières dans le civil. Les élus évoquent les dossiers clés, du centre commercial de Fontvieille à la dernière grosse réserve foncière de Monaco, l’Annonciade.
Parmi les plus gros projets d’urbanisme de Monaco, il y a le nouveau quartier Mareterra. Quelle est votre appréciation de cette extension en mer au plan politique et urbanistique ?
Thomas Brezzo : Ce quartier est un avantage majeur pour la Principauté car on gagne de la surface au sol, ce qui est rare et ce qui vaut cher à Monaco. Pour autant, nous regrettons toujours l’absence d’opération domaniale à Mareterra. D’un point de vue urbanistique, il est dommage qu’on ait autorisé la construction d’immeubles plus hauts que le casino, quand on regarde au niveau de la mer. Et ce, alors que l’on nous refuse des projets d’immeubles en hauteur de Monaco, au détriment de recettes pour l’État.
Jade Aureglia : Six hectares supplémentaires pour une Principauté de 2 km2, c’est forcément une aubaine. On peut saluer la dimension environnementale du projet, que ce soit au niveau des technologies innovantes ou des modes de construction mis en place, voire de la reconstitution des fonds marins. Tout n’est pas exemplaire, il y a beaucoup de choses qui sont faites pour se donner bonne conscience mais l’initiative est louable. Avant, personne ne le faisait. Il est également bon sur le plan urbanistique, que le quartier soit perméable avec le reste du tissu urbain. Il y a des zones piétonnes, tout en gardant un côté privatif pour valoriser l’immobilier au maximum. A 100 000€ ou 120 000 euros le m2 pour certains biens, c’est logique.
L’immobilier reste le pétrole monégasque. Mareterra a été une grosse ressource budgétaire pour la Principauté. Outre une soulte de 400 millions d’euros versée par la SAM, elle devait rapporter selon les premières projections quelque 720 millions au titre de la TVA (20 %) et des droits d’enregistrement. Combien a-t-elle rapporté en tout à l’Etat?
Thomas Brezzo : On a dépassé les 1,2 milliard d’euros de TVA et droits d’enregistrements. On peut néanmoins regretter le montant de la soulte pour l’État de 400 000 euros. D’autant que le projet a été réévalué et a grimpé de 2 étages.
Jade Aureglia : Les retombées de TVA et droits d’enregistrements avaient été calculées les plus minimes possibles. Les projections tablaient à l’époque sur un prix du m2 entre 40 000 et 100 000 euros. Les promoteurs ont vendu les biens plus chers. Ce qui est certain, c’est que Mareterra a sonné le glas des procédures de loi de désaffectation. Il nous faut désormais de la documentation claire et précise pour voter de manière éclairée de telles lois qui accordent du foncier.
Quelles sont les opérations qui vont suivre pour prendre le relai ? De quels projets avez-vous discuté avec les promoteurs ?
T.B. : Le problème, c’est qu’aujourd’hui ces recettes liées à Mareterra vont s’arrêter et qu’il n’y a pas eu d’anticipation, bien au contraire. Tous les promoteurs se plaignent que la direction de l’Urbanisme bloque les opérations ou les revoit à la baisse, ce qui impacte leur équilibre financier. L’immobilier, c’est le pétrole de Monaco donc si on veut avoir des recettes et avoir un équilibre budgétaire, il faut être plus souple sur les attributions de permis de construire.
En 2009, l’ancien Ministre d’État Jean-Paul Proust avait évoqué l’idée de faire un petit La Défense monégasque à l’Annonciade. Où en est-on aujourd’hui ?
T.B. : On en est nulle part. Cela fait 15 ans qu’on sait que le collège va déménager et être détruit, on ne sait toujours pas ce qui va se passer…
J.A. : L’Annonciade fait partie des quartiers qui vont être mis sous cloche. Le Gouvernement reprend tout à 0. D’ici décembre, il va lancer un concours urbanistique pour penser ce quartier. Il y a eu des projets privés proposés au Gouvernement. Ils ont été refusés, ce qu’on peut comprendre, car le Gouvernement a la maîtrise de son territoire. Donc aujourd’hui, on attend… Cela peut être une belle opportunité de sortir de terre une réflexion globale à l’échelle d’un quartier puis à l’échelle de la ville et de concrétiser des projets intéressants économiquement pour la Principauté, qui satisferont des besoins de la population et des monégasques tout en ayant des fonctions urbaines. C’est vraiment un crash-test pour eux ! Dans l’intervalle, ils vont faire des travaux au lycée Albert et délocaliser les élèves pendant 2 ans.
De notre côté, nous avons déposé une proposition de loi à la dernière séance législative fin juillet sur l’inscription d’un schéma directeur de développement qui prendrait la ville dans sa globalité et proposerait des opérations sur 5 ans. Ce schéma directeur de développement prend en compte la circulation, tout ce qui est réseaux ressources énergétiques, urbanisme, grands projets structurants, schéma et plan de déplacement multimodal et routier… Un tel schéma avait été produit en 2003 et aurait dû être mis à jour. Cela nous permettrait d’éviter cette anarchie dans les CPE grands travaux et mobilité où l’on nous présente toujours des projets à la volée (voir p.34).
Il était prévu de finaliser l’opération Charles III, qui abritera la future usine d’incinération, un pôle logistique et des bureaux en 2030. Est-ce possible compte tenu du coût exponentiel du projet Symbiose (censé intégrer une déchetterie, une centrale chaud-froid, une collecte pneumatique des déchets, une boucle d’eau de mer, et une usine consacrée au traitement des eaux résiduaires) ?
T.B. : C’est un projet qui a été présenté initialement à un budget de 300 millions d’euros. Aujourd’hui, on est à peu près à 680 millions d’euros auquel on ajoute un socle estimé à 800 millions d’euros ! Donc on est déjà à un milliard et demi d’euros… Pouvoir traiter ses déchets apporte une souveraineté mais seuls les déchets ménagers sont traités à Monaco. Les déchets en verre, en plastique, les mâchefers de BTP, hospitaliers, etc., sont eux traités en France ! Le Gouvernement n’a pas évoqué avec les autorités françaises une alternative au motif que la Convention de Bâle nous oblige à traiter nos déchets. Or, à Monaco on traite les déchets de la CARF. Voyons tous les scénarios possibles. Didier Guillaume nous a confirmé en séance privée qu’il allait reprendre le dossier en main. Nous allons de notre côté rencontrer Christian Estrosi et activer un relationnel permanent entre élus.
On a des décideurs locaux qui sont à côté de chez nous, on a des problématiques communes parce que la vie de la Principauté ne s’arrête pas aux frontières. Il faut discuter avec ces gens-là au nom de l’intérêt général ! Ne pas discuter avec eux c’est bloquant et la trémie de Cap d’Ail en est un parfait exemple…
L’lot Pasteur est un défi urbanistique. Avec la construction de nombreux ouvrages essentiels dont le très attendu nouveau collège Charles III et une promenade piétonnière. Avez-vous une visibilité sur la livraison des 7 700 m² de bureaux domaniaux et de la médiathèque ?
J.A. : L’immeuble réservé aux bureaux administratifs (situés pour le moment dans le centre commercial de Fontvieille) est annoncé pour la fin 2024. C’est un succédané de pavillon de service public que nous avions proposé. Le retard est lié aux allers-retours provoqués par l’expression de besoins des services administratifs concernés.
Centre commercial : quelles sont les hypothèses de modernisation aujourd’hui sur la table concrètement ?
T.B. : On a effectivement vu plusieurs projets… Le premier (1A) de la Socri est celui qui a été annoncé il y a 6 ans. Le Gouvernement s’est rendu compte tardivement qu’il coûtait trop cher et posait des problèmes structurels qui auraient pu être anticipés. Des études supplémentaires ont conduit au projet 1B, qui était un peu monstrueux ; il fallait presque casser le port et fermer les voies du boulevard Albert II pour le réaliser… Fin 2023, on apprend en séance budgétaire que ce projet est abandonné alors que 38 millions d’euros d’études ont été engagés…. C’est alors qu’on nous a présenté des variantes. A savoir le projet 1C, une déclinaison plus petite du 1A et donc du 1B avec le même geste architectural de la Socri. Avec l’avantage d’utiliser les études de structure et surtout que la Socri finance entièrement ce projet (4 ans de travaux), en contrepartie de baux emphytéotique et de l’exploitation des surfaces commerciales. La deuxième variante, moins compliquée car la structure n’enjambe pas la route (trois ans de travaux + 18 mois d’études puisqu’on repart de 0), est moins chère et a l’avantage de garder le centre commercial ouvert, avec une renaturation. Le 3e est une simple modernisation, sans fluidité urbaine entre Fontvieille et la Condamine.
Le Ministre d’État Didier Guillaume veut revoir le dossier et nous a annoncé un projet finalisé en juin 2025. On arrivera certainement à un hybride des trois.
J.A. : La première fois que j’ai vu ce projet, j’ai immédiatement fait remarquer qui si on arrivait à le faire, c’était un miracle… On est parti sur un projet fantaisiste sans réfléchir aux fonctions urbaines d’un quartier où circulent des milliers de travailleurs.
Nouveau CHPG : dépassera-t-on les 1,5 milliard d’euros alors qu’en 2011, le coût de ce projet était évalué à 550 millions d’euros ?
T.B. : On arrive à 2 milliards d’euros et une durée de construction au-delà du raisonnable avec une finalisation en 2035. Ce qui fait que l’hôpital serait obsolète technologiquement… Il y a désormais une tour 4, un Cap Canaveral qui a des conséquences financières énormes.
Le projet d’Esplanade des pêcheurs est-il complètement abandonné ?
T.B. : Un accord avec Antonio Caroli avait été conclu. Le projet est bloqué par un recours de Patrice Pastor. Le Gouvernement s’est porté partie civile dans le volet pénal de cette affaire. On observe.
J.A. : C’est du gâchis pour ce foncier.
Vous allez voir Christian Estrosi donc vous allez reparler en direct du métro ?
T.B. : Avant de lancer des projets, il faut étudier leur faisabilité. Plutôt que de parler de métro, je préfère évoquer un mode de transport supplémentaire entre Nice, Monaco et Vintimille. Attendons de voir ce que donnera la nouvelle desserte TER, mais quoi qu’il en soit, l’offre n’est pas suffisante pour détourner les automobilistes. Dans l’absolu, ce nouveau mode de transport peut prendre la forme qu’on veut, si elle remplit l’objectif recherché. Cette décision sera sans doute prise à Paris et non seulement au niveau régional et local, le projet pouvant drainer également des fonds européens.
J.A. : En attendant, ce qui compte, c’est la fréquence et l’adaptation des voies pour permettre cette fréquence. C’est vraiment une question de volonté politique. C’est prouvé dans toutes les villes. Si vous investissez plus dans des routes, vous allez avoir plus de voitures ; si vous investissez plus dans les transports en commun vous aurez plus de personnes délaissant leur voiture.