L’urbanisme monégasque présente de nombreuses spécificités. « Le monaquisme se joue en 3D. En haut, en bas, en dessous, au-dessus, devant et derrière… » selon Jean-Philippe Hugron, auteur du « Guide d’architecture Monaco ».
« Plus que l’épouvantail de la néo-richesse, Monaco est un luxueux laboratoire, celui d’un urbanisme impulsif et désinhibé qui n’hésite pas à dévoyer le génie du lieu pour mieux le redéfinir. La ville-état est ainsi un hommage sans cesse renouvelé à la « tradition du dernier cri» ». Pour Jean-Philippe Hugron, spécialiste de l’histoire de l’architecture, fondateur du Courrier de l’Architecte, Monaco est un temple de la transformation permanente. « Explosion de plâtre au XIXe siècle, la Principauté est désormais un agrégat de béton. Mieux, un rivage artificiel au trait de côte toujours changeant », commente l’auteur du « Guide d’architecture Monaco » transposant le manhattanisme de Rem Koolhaas* à Monaco rebaptisé pour la peine « Manhaco ».
L’expert résume parfaitement le mécano urbain d’une Principauté contrainte par le manque d’espace : « L’extension n’est possible qu’en l’air, en mer et sous-terre. Bigness 2.0 : le manhattanisme ne connaît que la 2D alors que le monaquisme, lui, se joue en 3D. En haut, en bas, en dessous, au-dessus, devant et derrière… même par-delà la frontière. »
L’émergence de gratte-ciels monégasques
Dès la fin du 19e siècle, la Principauté part en quête d’espace… et regarde vers le ciel. Le premier phénomène verticalisateur frappe les terrains autour du Casino, très recherchés. « Les premières villas vont disparaître pour laisser place à des constructions plus importantes notamment des hôtels », explique Jean-Philippe Hugron. Dans cette quête de hauteur, les « palais » sont bientôt surélevés. « Ces surélévations sont particulièrement singulières car dans la négation du passé, les nouveaux étages affirment la mode en vigueur. Autrement dit, les styles se suivent, sans pudeur aucune, formant un cadavre exquis inédit : aux étages Art nouveau suivent des étages Art déco. Ce millefeuille est très typique de la Principauté ! » explique le spécialiste selon qui « Monaco, en tant que ville balnéaire et ville de jeu, a la tradition de la nouveauté. »
Les prémices de la tour à Monaco apparaissent dans ce que Jean-Philippe Hugron appelle les « gratte-terre », ces immeubles qui vont aller chercher le sol… « A Monaco, les terrains sont rares et ceux qui vont rester dans les années 30 ont une forte déclivité. Apparaissent alors des immeubles qui, côté rue ne semblent avoir que deux étages et qui, côté mer, en forment près d’une quinzaine. Le gratte-ciel monégasque a ceci de particulier qu’il ne s’élève pas vers le ciel mais cherche, les yeux rivés en bas, un peu de sol. Ce sont donc des tours malgré elles ; elles habitent la pente, englobent la topographie pour mieux l’utiliser et offrir au plus grand nombre l’agrément de la vue dans un souci de densification. » La modernité surgit alors dans le débat architectural et la première tour est construite sur le port Hercule avec le Palais Héraclès signée Jean Ginsberg. « Cet immeuble conçu à la fin des années 50 incarne cette volonté d’aller rechercher le ciel et de densifier la principauté avec une réflexion sur une densité vivable et acceptable. » Suivent le Shuylkill (voir p.42) puis Le Millefiori qui est resté pendant long- temps la tour la plus élevée de la Principauté́ avec ses 35 étages et ses 116 mètres de haut. Pensée par ses promoteurs pour être « l’immeuble le plus prestigieux d’Europe », elle avait un dispositif structurel radial de voiles de béton en forme de Y. « La silhouette de l’immeuble ainsi pensée n’est pas sans évoquer la Price Tower à Bartlesville (Oklahoma). L’édifice conçu par Frank Lloyd Wright avait fait, à sa livraison en 1956, le tour du monde des revues d’architecture pour devenir, en peu de temps, une icône de l’architecture moderne », rappelle l’auteur.
Autre particularité de l’architecture monégasque : en parallèle de la verticalité, Monaco a cultivé la construction traditionnelle ou néo traditionnelle. Une architecture qui, en Europe, a surtout été développée en Belgique, avec le New Urbanism. « Ces immeubles contemporains avec des balustrades expriment une forme de nostalgie. Si cette architecture est mal faite, elle verse tout de suite dans le kitsch et effectivement elle est ridicule mais vous avez des bâtiments qui sont très bien conçus », juge l’historien.
* Rem Koolhaas, chantre de la « Bigness », décrypte le manhattanisme dans New York Délire, publié en 1978.
Monaco-sur-Mer, « les conquêtes pacifiques »
Grâce à ses extensions en mer successives, le territoire de la Principauté a cru de 20%, passant de 150 à 202 hectares. Ces « conquêtes pacifiques » * ont permis d’assurer le développement économique du deuxième pays le plus petit du monde (après le Vatican), avec la création de nouveaux services et industries mais aussi de nouveaux logements. Si la première extension en mer à Monaco date de 1907, avec le remblaiement de la plage historique de Fontvieille (donnant naissance à un nouveau port, comme à une usine d’incinération et au premier stade de football), c’est surtout au Portier et au Larvotto que Monaco grignota des terrains sur la Méditerranée.
Dans les années 1960, sous l’impulsion du Prince Rainier III, l’Etat réaménagea son littoral entre le Portier et la frontière française (Roquebrune). « Plusieurs opérations ont façonné le littoral monégasque : les deux terre-pleins du Portier et du Sporting, la plage du Larvotto et le complexe immobilier des Spélugues », résume Jean-Luc Nguyen, Directeur des Travaux Publics. Auditorium Rainier III, Jardin japonais, Grimaldi Forum, Sporting d’été, Monte-Carlo Bay Hotel… sont autant d’équipements qui ont dessiné le bord de mer. « Ces opérations ont constitué et restent encore à ce jour des véritables prouesses techniques : la plage artificielle du Larvotto est la première créée en Méditerranée, et ses ouvrages de protection ont fait preuve d’une remarquable efficacité depuis plus de 50 ans, nécessitant peu d’interventions d’entretien ; le complexe des Spélugues surplombe deux voies structurantes pour la circulation en Principauté et repose en partie sur des piles au-dessus de la mer ; le Grimaldi Forum est construit aux deux tiers sous le niveau de la mer, jusqu’à une profondeur de -20 mètres et dispose d’un système de pompage permanent assurant la stabilité de l’édifice vis-à-vis de la pression hydrostatique » précise le fonctionnaire.
La plus importante extension en mer (22 hectares), fut réalisée à Fontvieille. Le quartier mettra plus de 30 ans à se constituer jusqu’à la livraison du Centre Commercial de Fontvieille en 1993, puis la dernière opération de logements dans les années 2000. A la même période, le Port Hercule connut une autre extension avec l’arrivée en Principauté de la digue semi-flottante (soit un ouvrage de 160 000 tonnes, 352 m de long, 28 m de large et 19 m de haut !) arrimée à un nouveau terre-plein. Ce qui impliqua une extension territoriale de 3,7 ha.
Dès la fin des années 2000, les projets d’extension en mer resurgissent. Monaco a besoin de 300 à 350 000 m2 par décennie pour répondre à ses besoins… Si le projet de quartier de 17 hectares gagnés sur la mer (fruit d’un concours international) sombre avec la crise financière de 2008, Mareterra, lui, prend vie. Ce quartier a été conçu comme une prolongation du littoral actuel, du Grimaldi Forum jusqu’au tunnel du Grand Prix de Formule 1. « Mareterra s’intégrera parfaitement à notre littoral et sera considéré dans quelques années comme une extension naturelle de notre territoire », a prédit le Prince Albert II.
Monaco-sous-terre
Par le passé, Monaco a également gagné de précieux m2 sous terre. Notamment avec la mise en souterrain de la voie ferrée, qui a démarré au début des années 1960, avant de reprendre à la fin de la décennie 1990, avec le transfert de la gare dans le profond vallon de Sainte-Dévote (et ses 13 niveaux de parkings) … Mais surtout avec l’urbanisation des « délaissés SNCF ». A partir de 1999, la déviation souterraine de la voie SNCF à Monaco va autoriser une vaste opération de couture urbaine, d’implantation de nouvelles constructions publiques et privées, et d’amélioration du réseau urbain de la Principauté. 135 000 m2 de planchers vont voir le jour sur les 4 ha récupérés. Tous ces programmes de construction ont changé en profondeur la configuration de Monaco. « Aujourd’hui, Monaco en sous-sol représente plus de 3,5 millions m3 d’infrastructures, bref un état sous l’État » commente Jean-Philippe Hugron. Tout est venu du fait que « la Principauté a besoin de terrains pour des activités moins lucratives voire pour des équipements et des infrastructures nécessaires au bon fonctionnement de la ville : traitement des eaux usées, traitement des déchets ou encore stationnement et stockage en tout genre ». Or, aux yeux des urbanistes et des aménageurs, Monaco dispose d’une autre réserve, elle aussi, invisible, un gisement d’espaces… en sous-sol.
L’exploitation des entraves de la Principauté permet d’enfouir les déplacements. « Chaque jour, la Principauté double sa population avec l’arrivée de touristes mais aussi de travailleurs. Pour absorber ce flux – souvent automobile – il s’agit de proposer une offre de parkings publics adéquate (à ce jour, plus de 15 000 places sont disponibles dans 40 parkings différents) mais aussi d’éviter la congestion des principaux axes de la ville », précise le spécialiste, avant d’ajouter : « Six kilomètres de galeries techniques souterraines assurent, par ailleurs, la collecte pneumatique des ordures ménagères directement amenées à une vitesse de 70 km∕h dans la fosse de l’usine d’incinération qui, dans une politique de « valorisation des déchets », participe à la production d’énergie, notamment au chauffage urbain de la Principauté. »