C’est le credo de Bertrand Piccard : « Le vol de Solar Impulse a montré au monde qu’il était possible de
repousser les limites de la technologie pour construire les bases d’un avenir durable. Si un avion est
capable de faire le tour du monde sans une seule goutte de carburant, les technologies propres peuvent
sans aucun doute être utilisées sur la terre ferme pour créer un monde plus propre, plus efficace et plus
riche… » Aujourd’hui, le « Savanturier » promeut plus de 1000 solutions pour le climat labellisées par sa
fondation.
Le déclic pour ces 1000 solutions concrètes pour lutter contre le réchauffement climatique s’est passé à bord de Solar Impulse ?
Le déclic s’est passé lorsque j’ai traversé l’Atlantique à bord de Solar Impulse. J’ai lancé l’Alliance mondiale pour les solutions efficientes car c’était le moment de réunir tous ceux qui ont des solutions rentables pour lutter contre le réchauffement climatique. J’ai réalisé ensuite qu’il n’était pas suffisant de réunir les promoteurs de ces solutions, il fallait les labelliser. Démontrer qu’il existe aujourd’hui des solutions propres, capables de remplacer celles d’hier, moins efficaces et surtout très polluantes tout en générant des profits, des emplois, de la croissance… Il a fallu 4 ans pour mettre en place le label, le processus d’expertise, réunir les producteurs de clean tech, les investisseurs, etc. Le 13 mars
2021, nous avons passé la ligne d’arrivée avec 1000 solutions labellisées. Aujourd’hui, il y en a encore davantage… Il ne reste plus qu’à les développer et les présenter aux dirigeants qui étaient jusqu’à présent écartelés entre besoins économiques et écologiques.
Les 1000 solutions sont très variées : liquide vaisselle végétal, plastique biodégradable et comestible à partir de déchets de l’industrie laitière, adjuvant alimentaire pour le bétail qui diminue de 30 % les émanations de méthane et, dans le même temps, augmente la production de lait, récupération d’énergie pour les usines, planification efficace des transports pour les villes… La cible est multiple, vous visez à la fois les particuliers, les industriels, et les collectivités ?
Exactement, notre credo, c’est d’offrir des solutions de la production à la consommation ! L’objectif est de couvrir l’entièreté des besoins. Il faut découpler le PIB de la consommation et de la production pour le coupler à l’efficience. Aujourd’hui, il faut être conscient que développer la consommation et la production, cela mène à la catastrophe !
Concrètement, un groupe de 420 experts indépendants pour déterminer ou pas si la solution pouvait obtenir le label « Solar Impulse Efficient Solution ». Comment avez-vous identifié des solutions fiables et rentables ?
Ces solutions ont été triées sur le volet, le label découlant de trois critères. Pour être labellisée, une solution doit exister aujourd’hui, car on ne veut pas de vagues idées pour le futur ; financièrement, elle doit être rentable pour celui qui la produit et celui qui l’utilise ; et bien entendu, elle doit protéger l’environnement.
Le bilan carbone de chaque solution est-il calculé ? Certaines études estiment par exemple qu’une voiture électrique sur l’ensemble de son cycle de vie génère trois quarts des émissions de carbone d’une voiture carburant au pétrole…
Il y a aussi des études qui disaient que la cigarette ne générait pas de cancer ni d’addiction, ou que le pétrole ne change rien au réchauffement climatique ! Certaines études sont publiées par des conservateurs qui veulent que le système actuel perdure. Un constructeur en France a vivement critiqué la voiture électrique avant d’être obligé de s’y mettre. Toutes les nouvelles opportunités profitent aux pionniers et font peur à ceux qui souhaitent que rien ne bouge…
Il reste difficile de recycler les batteries des véhicules électriques, sans compter la problématique des métaux rares mise en exergue par certains experts comme Guillaume Pitron ?
Guillaume Pitron a raison d’avoir tiré la sonnette d’alarme. Il faut améliorer la réglementation sur les extractions de matières premières pour mieux respecter les droits de l’homme. En revanche, la question se pose : faut-il risquer d’augmenter de quelques degrés le réchauffement climatique ou exploiter quelques mines de cobalt supplémentaires en imposant des droits humains respectés et des normes écologiques ? Il y a trois options aujourd’hui : continuer avec les véhicules à combustion créant des problèmes écologiques, passer à la mobilité électrique ce qui suppose d’extraire des matériaux dans nos sols ou arrêter de bouger et arrêter toutes les voitures pour arrêter les changements climatiques !
Quelle est la meilleure option et la plus réaliste ? La mobilité électrique ce sont des batteries avec des roues. Pendant 95% du temps, les voitures sont à l’arrêt et branchées au réseau électrique. Pourquoi est-il toujours interdit aux batteries de voiture de restituer de l’énergie ? Les chargeurs de batteries ne sont mêmes pas fabriqués pour passer
l’électricité dans les deux sens…
Vous allez prôner les 1000 solutions et des changements de réglementation lors de votre tour du monde ?
De manière très concrète on va identifier pour chaque pays les solutions qui permettront de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. On met en place le « cleanprint » pour contrebalancer le footprint (empreinte). Nos équipes voient quelles solutions s’appliquent le mieux en fonction de la typologie du pays (désertique, urbain, connecté, continental etc). L’audit change en fonction des pays. Il y a des pays où l’électricité est faite avec du charbon, d’autres avec du nucléaire, plus décarboné. On passe au crible les besoins d’un pays.
C’est un audit personnalisé. Monaco sera une ville pilote pour tester les solutions ?
Monaco doit être un laboratoire pilote, c’est ce que l’on met en place avec le Prince Albert II. Monaco est une ville côtière. Son extension en mer utilise une de nos solutions, eConcrete, soit du béton qui permet à la vie marine de se reconstituer. A Monaco, il faut jouer sur le chauffage et le refroidissement par les pompes à chaleur, l’habitat, l’isolation, l’efficience énergétique…
L’argent est le nerf de la guerre. Vous avez ouvert deux fonds d’investissement destinés exclusivement aux innovateurs labellisés. Ces fonds prévoient d’investir jusqu’à 350 millions d’euros dans des solutions labellisées par la Fondation. Ce n’est pas suffisant?
Les investissements nécessaires sont d’environ 1 à 5 millions par solution, de 10 à 20 millions pour les entreprises plus grosses. Ces fonds ne permettent pas de soutenir les 1000 solutions mais c’est un premier pas.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que la transition énergétique est illusoire tant que les batteries ne seront pas bien recyclées ?
C’est un business. Certaines sociétés comme Unicor en Belgique, une ancienne usine minière, ont bien compris que le recyclage des batteries représentait une opportunité économique. Et il faut voir aussi que les batteries permettent de rouler de plus en plus longtemps. Je discutais avec le propriétaire de l’une des premières Tesla. Il en est à 800.000
km et il n’a pas besoin de changer sa batterie !
Pour certains théoriciens de la théorie de l’effondrement et de la collapsologie, c’est la fin de l’anthropocène et seule la décroissance peut être efficace. Qu’en pensez-vous ?
La décroissance économique amène au chaos social. La croissance illimitée amène à l’effondrement écologique. Aucune solution n’est acceptable. Seule la croissance qualitative est envisageable, il faut remplacer ce qui pollue par ce qui protège l’environnement.
Votre prochain objectif, c’est la Cop 26 à Glasgow ?
L’objectif est que les pays prennent des engagements plus ambitieux. On prépare le cleanprint de l’Ecosse afin de l’amener symboliquement à la Cop 26. Avec Emmanuel Macron, on prévoit également un événement cet été pour annoncer les 1000 solutions en France.
Pensez-vous que la géo-ingénierie représente un plan B pour la planète?
La géo-ingénierie c’est un désastre pour la planète, pas un plan B. Comment imaginer injecter une poudre dans l’atmosphère pour limiter le réchauffement climatique ? C’est une aberration. Jouer à l’apprenti sorcier, c’est criminel. C’est nous qui polluons et devons changer, pas la nature.