Comment l’économie monégasque traversera ces prochaines décennies ? Au Monaco Economic Board, Michel Dotta et Guillaume Rose, respectivement président et directeur général exécutif de cette institution au cœur du réacteur, esquissent comment elle va se réinventer.
Les méga-tendances de l’économie du XXIe siècle sont connues : la population vieillit, la croissance économique est plus faible, le coût du changement climatique augmente rapidement, la mondialisation s’essouffle, les migrations sont plus nombreuses, les inégalités ont augmenté dans les pays riches, la digitalisation s’accélère… Comment imaginez-vous l’évolution de l’économie mondiale de demain ?
MD : Je ne brosserais pas un portrait aussi pessimiste de notre avenir. Certes les défis que vous citez sont réels, compliqués et parfois lourds de conséquences. Pour autant, je reste optimiste car je crois en l’aptitude des humains à imaginer de nouvelles solutions. Notre capacité d’adaptation a de tous temps été remarquable. La révolution numérique que nous vivons est capitale et elle continuera d’accomplir de grandes choses. Pour autant elle n’aura de sens que si elle contribue également à réduire la menace du changement climatique. Par ailleurs on voit émerger de nouvelles puis- sances, il ne faudrait pas que cela crée des déséquilibres et des tensions trop importantes. Face à ces enjeux il faudra faire preuve de solidarité et de courage c’est pourquoi je dirais que l’intelligence est notre seul salut.
GR : Pour répondre aux immenses défis que vous citez, il y a surtout deux tendances fortes qui se dégagent dans le monde entier : pour la premièrefois, y compris dans des pays qui ne sont pas mûs par leurs opinions publiques, comme la Chine et la Russie, est ancrée l’idée que l’avenir appartient aux transitions énergétiques et numériques. A ce jour, on est d’ailleurs dans un paradoxe très intéressant : la Chine continue d’axer sa production d’énergie sur le charbon tout en donnant un coup de fouet incroyable sur les énergies renouvelables. La Russie, très touchée par les incendies de cet été, a mis le cap sur la réduction des gaz à effet de serre. Quant au reste du monde, notamment dans les économies occidentales, on arrête enfin de se contenter d’en parler pour commencer à vraiment agir. L’autre révolution c’est bien sûr le numérique. Il n’y a plus de débat aujourd’hui sur son avènement complet, aussi inéluctable que l’arrivée de l’automobile au XXe siècle !
Monaco est très bien placé pour avancer sur ces deux tableaux.
Nous sommes ainsi au cœur d’une transformation radicale de notre économie vers ces deux évolutions qui obligent à créer des entreprises moins consommatrices de m2.
Comment voyez-vous l’économie de Monaco dans 30 ans ? Sera-t-elle toujours axée sur les piliers que sont la finance, l’immobilier et le BTP ?
MD : Une des grandes forces de Monaco, c’est sa capacité à attirer des entrepreneurs de talents qui évoluent dans des secteurs d’activités très
variés. Cette concentration d’entrepreneurs et cette diversité fait que la Principauté a pu résister à des tempêtes telle que la crise de 2008-2009 ou celle que nous traversons actuellement sans trop de dommages. La Principauté doit donc tout faire pour rester attractive et je constate avec sérénité que c’est ce qu’elle fait en se transformant. On peut imaginer que les secteurs importants le seront encore pour la plupart dans 30 ans, mais le numérique sera passé par là et permettra d’ouvrir de nouvelles perspectives en élargissant notre capacité de développement, notamment au-delà de nos frontières. C’est une chance à saisir car plus que jamais, Monaco pourra servir de plateforme internationale.
GR : Finance, immobilier et BTP sont nos forces actuelles, c’est sur ces forces que nous devons nous appuyer pour avoir la prospérité suffisante pour évoluer. Mais quelle que soit l’importance de ces piliers, ne pas songer au renouvellement ou à la diversification de l’économie dans les 30prochaines années serait purement suicidaire. Fintech et Real Estate Tech sont les investissements qu’il faut faire tout de suite mais ces techniques seront avant tout un moyen de faire connaître au monde la valeur ajoutée de Monaco, à savoir la rareté du m2. Il s’agit davantage d’un virage decommercialisation qu’un virage de création d’entreprise. De ce point de vue-là, le meilleur exemple de nouveau développement à Monaco est le secteur de la santé numérique. Dans ce secteur comme ailleurs, Monaco, qui manque d’espace, n’a d’autre choix que de se concentrer sur la R&D, qui nécessite matière grise et intelligence artificielle. Monaco Tech a d’ailleurs parfaitement compris l’importance de l’innovation en termes de santé en proposant un laboratoire dans ses locaux. En attirant les vrais talents par la force de nos investissements mais aussi par notre qualité de vie et la qualité de notre éducation, nous pouvons ainsi être puissants dans le numérique, dans les techniques liées à l’environnement et dans celles liées à la santé : ce seront nos ressources de demain.
Quelles répercussions a déjà eu et aura à terme la crise sanitaire actuelle sur l’économie monégasque ? Quels en sont les enseignements ?
MD : Les répercussions immédiates, on les connaît déjà avec les difficultés rencontrées par les secteurs liés au tourisme et à l’évènementiel. Pour autant, la grande majorité des autres activités ont bien résisté ou ont déjà fortement rebondi. Ce que je note surtout c’est que cette crise n’a pas transformé l’économie, elle a plutôt été un accélérateur de sa transformation qui était déjà en cours. La numérisation s’est imposée dans de très nombreuses entreprises notamment avec le télétravail mais aussi sous l’impulsion du projet Extended Monaco pour l’entreprise mis en place par le Gouvernement et auquel nous collaborons. C’est essentiel pour que Monaco garde sa compétitivité internationale .L’implication des entreprises monégasques dans le Pacte de transition énergétique, que nous promouvons également, va également dans le bon sens. Elle donne une image de responsabilité et prépare l’avenir.
GR : La crise sanitaire, qui a impacté notre tissu entrepreneurial dynamique et résilient, a réussi à faire réfléchir des sociétés sur le changement. Le plus bel exemple est Bettina, qui a remarquablement su prendre le tournant qu’il fallait prendre. Même notre tourisme de loisirs a pu se remettre dès cet été, et même notre tourisme autour des événements, comme le Monaco Yacht Show qui s’est révélé être un succès, alors que toutes les chances étaient contre lui… Car cette crise a surtout handicapé fortement le secteur tourisme d’affaires, qui mettra encore un moment à s’en remettre. Nous espérons voir à présent le bout du tunnel qui a duré plus longtemps qu’on le craignait. Le redémarrage très vif de notre économie prouve qu’elle est pleine de ressources.
Un nouveau modèle d’entreprises qui préservent le capital écologique et social ?
MD : Je ne suis pas certain que la crise que nous traversons soit forcément déclencheuse d’un nouveau modèle d’entreprise. Pour autant, des sujets comme le développement durable sont désormais au cœur des stratégies dans tous les domaines d’activités. Sous l’impulsion du Souverain, Monaco ambitionne d’être exemplaire sur des sujets comme la défense de l’environnement, le numérique ou encore la solidarité. Cela contribue naturellement à infléchir la politique des entreprises vers un modèle plus vertueux.
GR : Je pense que cette crise pourrait être un tournant générationnel. Il y a des valeurs devenues vitales aujourd’hui qui manquent à certains diri-geants d’entreprise en Principauté de Monaco : on peut citer la conscience écologique et environnementale, l’ouverture au numérique et aux trans- formations extérieures, la conscience du rôle social du chef d’entreprise, et parfois l’audace. Pour illustrer ces propos par un exemple, nous avons réalisé une étude sur le télétravail qui montre qu’il fonctionne dans la majorité des secteurs – plus dans la finance que dans la construction bien entendu -, il a donné satisfaction aussi bien au salarié, qui y voit un gain de qualité de vie, qu’à l’employeur qui y voit un gain de productivité. Il est évident qu’il faudra le pérenniser sous une forme sans doute moins généralisée que celle que nous avons connue pendant la crise sanitaire, mais sans revenir à la situation ultra-minoritaire qui prévalait avant celle-ci. Utilisons les recettes qui marchent et optimisons-les ! Le MEB de son côté a instauré une journée de télétravail par semaine et sa productivité en a été augmentée en même temps que ses locaux ont été optimisés sans frais !
Et pour le MEB justement ? Quelle est votre vision dans 30 ans ?
MD : Le MEB est, et restera, je pense, un instrument indispensable pour la recherche d’investisseurs, et une structure d’aide et de soutien sans pareil pour toutes les entreprises qui font le choix d’y adhérer. Pour agir, nous nous appuyons sur de nombreux relais et d’année en année, nous étoffons nos réseaux, aussi bien en local qu’à l’international. C’est un formidable levier qui sert la Principauté et qui devra se poursuivre afin d’ouvrir de nouveauxhorizons. Les outils évolueront sans aucun doute, nous l’avons d’ailleurs déjà constaté lors de cette crise pendant laquelle nous avons dû nous adapter avec la création de missions économiques virtuelles. Enfin pour être efficace, il faudra continuer à suivre les évolutions géostratégiques et macroéconomiques, à anticiper les évolutions du monde du travail et les besoins de nos adhérents, tout en préservant notre identité.
GR : Le MEB est un organisme souple et flexible qui représente à la fois un lieu où le secteur privé dialogue et une excellente courroie de transmission entre l’État et les entreprises, ce qu’il a démontré pendant la crise du Covid. Post crise, notre mission de promotion va s’accentuer avec des missions physiques et une présence digitale. Notre association se renforce de mois en mois, en intégrant aux côtés d’entreprises traditionnelles des start-up, par exemple issues de la pépinière Monaco Tech et bientôt de Monaco Boost, mais aussi du tissu privé de plus en plus dynamique.
Le pôle Agence de promotion des investissements sera-t-il accru ?
MD : Comme je l’ai dit, Monaco doit conserver son attractivité, c’est vital. La promotion auprès des investisseurs doit donc rester une mission essentielle du MEB. Les dynamiques de changement impulsées par le Souverain nous aident beaucoup. Les collaborations avec les autres entités monégasques que nous avons développées avec Guillaume Rose ont également participé au rayonnement de Monaco. Il y aura certainement de nouvelles formules à imaginer pour poursuivre cette action, par exemple avec de nouvelles entités.
GR : Les investisseurs étrangers se montrent actuellement très prudents mais nous allons continuer à les attirer, grâce au réseau que nous avons bâti depuis des années, et que nous continuons à bâtir au quotidien. En capitalisant sur l’image de Monaco, paradis de la sécurité, du bien-être, de l’éducation et de la qualité de vie. Avec les services de Frédéric Genta nous proposons une évolution numérique, avec ceux d’Annabelle Jaeger-Seydoux une avancée vers la transition énergétique. De même, Invest Monaco, au sein du MEB, est la principale structure en Principauté qui recherche activement des investisseurs. Avec mon Directeur adjoint Justin Highman, dont c’est la responsabilité directe, nous veillons à ce que ce mouvement ne faiblisse pas.
Miléna RADOMAN