2022 aura été une année difficile pour les marchés financiers. Nicolas Rajner, Directeur Adjoint des Investissements à la Banque Richelieu revient sur les placements qui ont résisté en 2022 mais surtout sur la stratégie à privilégier en 2023.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué en 2022? La volatilité des marchés?
Par où commencer (sourire)? 2022 est une année vraiment exceptionnelle, à tous points de vue. Là où dans le passé on avait des classes d’actifs décorrélées, c’est-à-dire qui ne subissaient pas des mouvements dans le même sens en même temps, les actions et les obligations ont perdu en valeur et affiché des performances négatives en parallèle. C’est extrêmement rare! En général on construit des portefeuilles avec ces deux grands blocs dans un esprit de diversification et cette année cette diversification n’a pas fonctionné. En 2022, on s’attendait à deux hausses de taux de la Fed. Au final, il y en a eu beaucoup plus, sept au total dont quatre augmentations de 75 points de base des taux d’intérêt… Il y a eu un revirement de politique monétaire très brutal. C’est l’équivalent de ce que l’on a connu dans les années 70 sous l’ère Volcker avec des taux qui montent très fort et très rapidement.
Quels sont les autres marqueurs à retenir?
Le conflit entre la Russie et l’Ukraine et l’instabilité géopolitique corollaire ont eu des conséquences en cascades sur le prix des matières premières et de l’énergie, en particulier pour l’Europe qui est plus proche de l’épicentre de cette crise. Les mesures drastiques de confinement face à la résurgence du Covid ont par ailleurs mis l’économie chinoise en berne cette année alors que c’est un moteur de l’économie mondiale. Le pouvoir en place n’a pris des mesures de soutien qu’en fin d’année, qu’après la réélection du président Xi. Facteur positif en fin d’année: suite à des contestations populaires, il y a un relâchement des règles anti-covid. On s’attend à un possible redémarrage en 2023 de l’économie chinoise.
Sur quels placements fallait-il miser pour échapper à cette crise en 2022 ?
En résumé, si vous vouliez gagner de l’argent en 2022, il fallait avoir beaucoup de dollars, d’énergie et ne pas avoir d’obligations… Nous avons choisi des allocations très défensives, avec un niveau de cash élevé (environ 10%) dans les portefeuilles. Sur la partie actions, nous avons misé sur des sociétés dans le secteur de la santé, de l’énergie (valeurs comme Total, Shell, etc.). La tech américaine a beaucoup souffert, notamment les Gafam. Google, Alphabet, Amazon, etc. qui ont été fortement impacté par la hausse des taux (le Nasdaq enregistre une performance proche des moins 30% en 2022).
Et sur quelles valeurs faut-il surfer en 2023?
Pour 2023, surtout pour le premier trimestre, nos convictions sur la partie action visent d’abord des secteurs alliant des caractéristiques défensives – car les économies rentrent en récession -, mais aussi des caractéristiques de croissance, comme la santé. Par exemple, des laboratoires pharmaceutiques qui ont déjà intégré des nouvelles sociétés Biotech ou qui ont des médicaments qui vont rentrer en production sur des maladies où il existe un grand besoin, comme en oncologie (Sanofi, Novartis).
On aime aussi les valeurs de cybersécurité. Une fois que les politiques monétaires en 2023 se stabiliseront un petit peu, ces valeurs devraient retrouver la faveur des investisseurs. Surtout dans un monde de plus en plus digital, avec des menaces fortes sur le segment de la sécurité informatique et des systèmes d’information.
Troisième thématique à privilégier: la transition énergétique. Nous gérons un certificat qui reprend les piliers du plan européen pour la transition écologique (mobilité, énergie, économie circulaire). C’est un mix dans la gestion de thématiques qui peuvent à la fois performer rapidement mais sur lesquelles on veut être exposé sur le long terme.
Comment éviter le greenwashing sur ces valeurs?
Nous ne cherchons pas à investir uniquement sur des valeurs ayant des caractéristiques ESG mais sur des acteurs actifs dans la transition énergétique. Par exemple, dans l’économie circulaire, on est investi dans Waste Management et Evoqua aux Etats-Unis, sociétés qui sont actives dans le recyclage des déchets pour la première et le traitement de de l’eau pour la seconde. Idem pour l’hydrogène: il existe aujourd’hui des plans de financement importants dans ce secteur, les acteurs à même d’en bénéficier le plus sont des grosses sociétés de gaz industriel comme Air liquide ou Linde en Allemagne.
Quel est donc votre portefeuille idéal hormis les 10% de Cash?
Nous revenons sur l’obligataire car les taux d’intérêt ont remonté de manière impressionnante. Aujourd’hui, vous avez des taux souverains aux alentours de 2%, avec une prime de risque de 2%. On est donc sur du 4% avec un risque extrêmement limité sur des belles signatures de sociétés qui a priori ne feront pas défaut. A savoir les principales banques, les sociétés pharmaceutiques, ou encore Nestlé. Sur le segment de la dette spéculative – où les sociétés sont bien plus endettées et paient de facto un rendement plus élevé autour de 5 ou 6%, on joue de manière diversifié au travers d’un tracker ou d’un fonds. Les minimums d’investissements en obligations en Europe sont autour de 100 000 euros… Pour diversifier un portefeuille, il faut qu’il soit de taille conséquente pour avoir 20 à 30 lignes obligataires. Les politiques monétaires se normalisant, il est par ailleurs logique de miser sur les dettes souveraines européenne et américaine.
Quelle ventilation préconisez-vous?
Sur le profil risque dynamique, 47% d’actions (max 55%), 10% de cash, 15% sur de l’alternatif et produits structurés (où vous retrouvez par exemple des fonds de gestion type hedge funds, de l’or) et le reste en obligations (principalement obligations corporate américaines et européennes).
Comme nous avons des clients internationaux, nous adoptons une gestion multidevises (essentiellement euro, dollar, livre sterling, franc suisse). Le dollar, conçu comme un havre de paix pour placer des liquidités (bons du trésor par exemple) dans un monde instable, a eu en 2022 une performance exceptionnelle. Avec la stabilisation des politiques monétaires, cette tendance devrait être freinée. L’euro se réapprécie face au dollar. On conseille donc à nos clients euro qui ont des dollars de progressivement vendre les dollars qu’ils ont en compte ou de mettre en place des stratégies de couverture sur les positions de titres détenus en dollar action ou obligation pour couvrir ce risque de change et éviter l’effet devise.
Pas de cryptomonnaies dans ce portefeuille?
Non. Il y a très peu de compatibilité entre cryptomonnaies et finance traditionnelle, y compris sur un plan pratique. Les circuits d’achat et de détention ne sont pas les mêmes. On ne peut pas acheter les cryptos sur une bourse, les déposer dans une banque classique… Ce marché est très peu réglementé, avec très peu de visibilité. Les cryptomonnaies n’étant contrôlées par aucune banque centrale, ce sont des actifs très spéculatifs qui ressemblent davantage à du jeu, du pari que de l’investissement. Comme le montre le scandale FTX: le fait que des gestionnaires de hedge fund renommés et des investisseurs avertis se soient laissé berner illustre le danger d’investir dans un secteur où la réglementation est quasiment inexistante!
S’ils le souhaitent, nos clients peuvent par ailleurs acheter des ETF (instrument qui se traite comme une action mais qui réplique la performance d’un autre actif) dans des portefeuilles qui sont « exécution only », où le client donne ses ordres, ou en « advisory » où c’est la Banque qui conseille mais où le client peut faire aussi ses propres transactions. Mais aujourd’hui, honnêtement, les clients ne nous le demandent pas, ce qui ne les empêche pas d’avoir leur propre cryptowallet en dehors du système bancaire.
Propos recueillis par Milena RADOMAN