Selon Stefano Torti, directeur Investissements de la Banque Havilland, le véritable changement viendra des investisseurs sur les marchés privés.
Les investissements durables et le changement climatique sont, cette année plus que jamais, sous le feu des projecteurs des investisseurs et des régulateurs. Assistons-nous enfin à une augmentation de prise de conscience susceptible de créer un réel impact?
L’investissement durable n’est pas réellement une nouveauté. Quelques sociétés de gestion d’actifs et de Fonds se sont spécialisées dans ce domaine depuis plusieurs décennies. Toutefois, deux éléments ont évolué au cours des dernières années : l’approche des investisseurs et le cadre réglementaire.
L’approche des investisseurs, à l’instar des consommateurs, a radi-calement changé avec une prise de conscience que le changement climatique est réel et que nous devons être conscients de l’impact de nos décisions d’investissement.
Et du côté de la réglementation?
On constate également une accélération, notamment en Europe. La pierre angulaire du changement réglementaire a été posée en mars de l’année dernière avec l’introduction du SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), exigeant pour la première fois que les sociétés de gestion d’actifs fournissent des informations sur les risques envi-ronnementaux, sociaux et de gouvernance de leurs investissements ainsi que sur leur impact sur la société et l’environnement. Le cadre réglementaire a ensuite franchi une nouvelle étape en août dernier avec la révision du Mifid en incluant les préférences des clients en matière d’investissements durables, une étape importante pour évaluer et respecter les objectifs de chaque investisseur en matière d’inves-tissements environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Les résultats de l’évolution de la réglementation et des investisseurs sont déjà visibles : la part de marché des fonds UCITs européens qui prennent en compte les facteurs ESG à différents degrés (les dits fonds « Article 8 » et « Article 9 ») a finalement dépassé la barre des 50%, même si cela est principalement dû à la reclassification de fonds existants.
Cela signifie-t-il que nous sommes sur la bonne voie vers un véri-table changement?
Du côté des titres cotés, des fonds et des titres à revenu fixe, le niveau de transparence et de pression est enfin là. Néanmoins, le problème majeur concerne malheureusement les marchés privés. Pour mettre en évidence que le véritable problème réside dans ce segment, il suffit de regarder les données. Par exemple, rien qu’aux États-Unis, on compte plus de 17 000 entreprises privées dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 100 millions de dollars, contre seulement quelque 2 600 sociétés quotées ayant le même chiffre d’affaires annuel (source : Capital IQ, février 2021). Cela signifie que la grande majorité des entreprises ne sont pas soumises à un niveau significatif de transparence et de contrôle en matière de développement durable. Même message avec
les émissions de CO² : selon les estimations du Climate Watch du World Resources Institute, l’immobilier et l’agriculture représentent plus d’un tiers des émissions mondiale de CO² et, supposément, ces 2 classes d’actifs sont principalement détenues par des propriétaires privés. Enfin, un grand nombre de fonds de capital-investissement, d’immo-bilier et de dette privée sont souvent hors du champ d’application de la règlementation quant à la divulgation des informations relatives à la finance durable en raison de leur juridiction ou de leur taille.
Comment s’assurer alors que les marchés privés sont impliqués et contribuent à un monde plus durable ?
En ce qui concerne les marchés privés, le véritable changement ne viendra probablement pas d’un cadre réglementaire différent ou plus strict. Le marché trop fragmenté et le niveau de complexité, combiné au manque de données, rendrait cette approche très difficile. Le véritable changement devrait venir de la base, des investisseurs. Les fonds de pension et les investisseurs institutionnels exercent déjà une pression sur cette classe d’actifs, notamment du point de vue de la durabilité, mais il faut maintenant que cela touche également les family offices, les investisseurs privés et même les clients bancaires, qui accèdent lentement à cet univers d’investissement. Nombreux sont ceux qui, aujourd’hui déjà, lorsqu’ils achètent une nouvelle voiture ou un nouveau bien immobilier, tiennent compte de leur efficacité énergétique et de l’impact environnemental de leurs actions. Il devrait en être de même lorsqu’ils investissent sur les marchés privés, cela serait bénéfique non seulement pour le monde en général, mais aussi pour le rendement futur de leur portefeuille.