Séismes, inondations, risque industriel… Comment faut-il s’assurer face à ces menaces ? Laurent Feruglio, directeur technique pôle entreprises chez Suisscourtage explique la nature des risques et comment les entreprises de la place procèdent.
Quelles sont les principales causes des sinistres des entreprises à Monaco ?
80% des sinistres sont liés à des dégâts des eaux. Il y a très peu de vols ou de cam-briolages. Les incendies sont rares. Certes, quand il y a un incendie, les dommages peuvent être très élevés pour les occupants et l’immeuble (notamment s’il est impacté dans sa structure). Dans un sinistre récent, le sinistre peut représenter entre 10 et 20 millions d’euros selon les premières estima-tions pour la demi-douzaine d’appartements concernés. Les enjeux sont importants.
Quels sont les risques industriels principaux ?
Les surfaces industrielles se réduisent comme peau de chagrin à Monaco. Les contraintes logistiques sont telles qu’il n’y a plus de raison d’investir dans l’outil industriel… Les risques industriels principaux restent l’incendie et l’explosion pour les zones ATEX (atmosphère explosive), faisant intervenir des produits hautement inflammables ou à point éclair bas (plus le point éclair est bas, plus la substance est inflammable) comme des solvants. Cela concerne les secteurs de la pharmacie, de la parfumerie ou encore de la plasturgie.
Comment procédez-vous pour l’évaluation du risque ?
Nous effectuons une visite de risque sur site et évaluons le process industriel dans sa globalité, des matières premières utilisées aux produits finis, les moyens de sécurité, le plan de continuité ou de reprise d’activité de l’entreprise, etc.
Nous présentons ensuite au client les meilleures offres des assu-reurs. Tous les assureurs ne couvrent pas tous les risques industriels ou toutes les activités, ce qui réduit l’offre potentielle. Certains se sont, par exemple, retirés de la chimie, d’autres ne couvrent que les petits risques industriels, ou au contraire uniquement les plus importants… C’est un marché de l’assurance du « sur-mesure ». Chaque dossier est unique. Dans toute ma carrière, je n’ai jamais vu deux usines qui se ressemblent, même dans un même groupe ! En risque industriel, les primes d’assurance commencent à partir de 5 000 euros, la plupart des affaires étant conclues entre 50 000 et 250 000 euros. A noter que les grands hôtels et complexes hôteliers et certains restaurants – notamment les chaînes de res-tauration – sont traités en risque industriel.
En principauté, les risques industriels sont-ils accrus par rapport à la verticalité et la concentration des industries ?
La production industrielle est peut-être rendue plus complexe car elle s’organise sur plusieurs étages et non sur des lignes de production en longueur. Mais les assureurs y voient un avantage : les immeubles de Fontvieille ont été conçus dès l’origine pour l’industrie avec des planchers et des portes coupe-feu, ce qui doit limiter l’impact d’un incendie. A Monaco, les cahiers des charges des immeubles sont exigeants et le système de prévention plus effectif qu’ailleurs, avec un pouvoir presque coercitif des pompiers. La mort récente d’un pompier en exercice devrait d’ailleurs renforcer encore davantage les contrôles.
A Monaco, existe-t-il un fonds de garantie pour les catastrophes naturelles (tremblement de terre, inondations, sécheresse, glis-sement de terrain, action mécanique des vagues…). Pourquoi ?
Non, il n’y a pas de fonds spécifique et Monaco n’adhère pas au régime français.
Le régime français des catastrophes naturelles est alimenté par une surprime de 12 % obligatoirement payée par chaque titulaire d’une police multirisque (habitation, Multirisque Professionnel, Risque Industriel, Automobile …). Je pense d’ailleurs, avec le recul que si c’était à refaire, Monaco aurait intérêt à y adhérer car le territoire du pays est situé en zone sismique et plus précisémenten zone 3 sur 4 de l’échelle Munich Re (un réassureur qui a déve-loppé des outils d’analyses spécialisés et une cartographie des catastrophes naturelles). Selon son dernier rapport, à l’échelle mondiale, ces dernières ont engendré, au premier semestre 2022, des dommages économiques de 65 milliards USD dont 52,6%, soit 34 milliards USD à la charge des assureurs, NDLR). Il n’y a pas eu de tremblement de terre important en principauté depuis 1887. Mais le risque de séisme est réel, seuls les immeubles construits depuis les années 80 ayant été conçus avec des normes antisismiques. Certains assureurs ont fait des études et estimé le risque d’effondrement entre 10 et 20% du bâti en cas de gros tremblement de terre.
Comment peut-on être assuré pour ce risque alors à Monaco ?
A Monaco, le tremblement de terre et sa conséquence, le tsunami, sont des options au contrat principal d’incendie que propose l’assureur aux entreprises. La plupart des industriels prennent cette option. Les assureurs basés à Monaco la proposent généralement mais opposent parfois le cumul des risques. C’est-à-dire que si un assureur est engagé sur un montant total de risque exposé au tremblement de terre, il stoppe la souscription.
Avec le réchauffement climatique, les catastrophes naturelles coûteront de plus en plus cher. Le montant cumulé des sinistres dus aux événements naturels pourrait quasiment doubler entre 2020 et 2050 si on le compare à la période 1989-2019. Plus d’un tiers de l’augmentation projetée serait due au changement climatique. Comment l’anticipez-vous ?
Mondialement, les sécheresses, les pluies diluviennes ou les in-cendies liés à la sécheresse vont doubler en 20 ans. Les actuaires modélisent les risques dans le monde entier, surtout dans les zones qui concentrent des valeurs. Les assureurs en tirent les conclusions, des taux de prime adaptés en fonction des risques et des terri-toires. Le risque aujourd’hui, c’est de ne pas pouvoir être assuré. La première chose que regarde un assureur, ce sont les antécédents. Par exemple une usine ou un camping inondé trois fois en 10 ans n’est plus assurable ou alors à des conditions exorbitantes. Dans quelques années, peut-être que certains assureurs couvriront le numéro 8 de la rue et pas le 8bis plus à risque d’inondation…
Les coups de mer, qui risquent de s’intensifier, sont-ils assurés ? Les restaurateurs de plage sont-ils assurés contre les tsunamis ?
Non sauf si le coup de mer est reconnu comme catastrophe naturelle par arrêté préfectoral en France. D’ailleurs 80% des restaurateurs de plage du littoral français sont mal ou pas assurés. Certains s’assurent sur le marché londonien pour les coups de mer.
A Monaco, la grande majorité des restaurateurs de plage ne sont pas assurés sur les tsunami. La prime tremblement de terre est plus chère que la prime incendie et représente un investissement annuel de 3 à 5 000 euros supplémentaires.
Propos recueillis par Milena RADOMAN