Les dynamiques économiques et internationales sont au fondement de la résurgence actuelle des procédures d’exécution immobilière en principauté de Monaco. Nous savons que le régime monégasque de la saisie immobilière est largement inspiré du droit français antérieur. Toutefois, le droit français a depuis lors été réformé à de nombreuses reprises, de sorte qu’en dépit de notions identiques, les régimes actuels contiennent des différences majeures et ne sont pas « exactement transposables » comme le souligne habituellement la jurisprudence monégasque. Deux décisions méritent d’être mises en lumière car leurs enseignements sont importants pour les banques.
En matière de saisie immobilière de droit monégasque, la mise à prix du bien saisi est déterminée par le créancier saisissant, lequel doit faire figurer cette information dans le cahier des charges prévu à l’article 592 du Code de procédure civile. Jusqu’à récemment, l’usage et la pratique à Monaco consistaient à fixer cette mise à prix au montant de la créance du créancier saisissant, peu important la valeur vénale réelle du bien immobilier. En procédant à une analyse téléologique de la norme, il était admis que la mise à prix devait être attrayante afin de permettre au créancier d’être remboursé (et par là de rémunérer sa prise de risque) et au débiteur de vendre au plus offrant (et par là de bénéficier du jeu de l’offre et de la demande afin de fixer la valeur de marché réelle du bien). Cette pratique semble avoir été remise en cause par une décision rendue le 31 août 2023 par le tribunal de Monaco.
Dans cette décision, le créancier saisissant avait initié la procédure de saisie immobilière à l’encontre d’un débiteur, pour un montant total de créance déclarée de près de 40 000 000 euros. Avant l’audience de règlement, le débiteur saisi avait alors déposé des dires à l’effet de contester cette mise à prix pour la voir réhaussée à hauteur de 60 000 000 euros.
Précisons qu’en cas de carence d’enchères, en droit monégasque, le créancier poursuivant devient adjudicataire du bien visé à hauteur de la mise à prix décidée par le juge, donc potentiellement réhaussée, contrairement au droit français qui prévoit que le créancier poursuivant ne devient adjudicataire que à hauteur de la mise à prix initiale. Cela constitue une différence majeure entraînant des conséquences significatives pour l’intérêt d’une exécution immobilière à Monaco.
Au visa notamment de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (« CESDH »), le tribunal a pu faire droit à la demande du débiteur, tout en décidant de réhausser de sa propre initiative la mise à prix à la somme de 130 000 000 euros, soit près des 2/3 de la valeur vénale supposée du bien et plus du double de la valeur avancée par le débiteur. Avec une telle décision, et en cas de carence d’enchères (le prix étant devenu manifestement peu attractif), il aurait appartenu à ladite Banque de régler 90 000 000 euros à son débiteur…
En dépit des risques que cela pouvait présenter pour le créancier, le tribunal, a pu considérer que la mise à prix initiale était fixée sans rapport avec la valeur du bien immobilier considéré, et était disproportionnément basse, de sorte qu’elle portait une atteinte illégitime au droit de propriété du débiteur.
Le recours à la décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (« CEDH ») du 5 novembre 2009 était assez curieuse car si Monaco a bien signé le Protocole n°1 de la CEDH consacrant la protection de la propriété privée, elle ne l’a pas ratifié.
Si l’on peut comprendre que l’objectif du Tribunal était de protéger le droit de propriété du débiteur, la solution ainsi dégagée portait très gravement atteinte au droit du créancier saisissant et rendait moins attractif pour les banques le financement des projets immobiliers à Monaco. Il faut croire que les craintes exprimées depuis ont été entendues. En effet, le Tribunal a depuis rendu plusieurs décisions dans un sens distinct sur ce sujet. Notamment, dans un jugement du 10 octobre 2024, le juge est revenu sur cette position, pour rejeter une demande de réhausse de la mise à prix, en décidant que « la modification du système procédural sollicitée par le débiteur qui consisterait à fixer une mise à prix plus en adéquation avec la valeur du marché…déséquilibrerait cet édifice procédural au profit du débiteur et viendrait paralyser la garantie hypothécaire en la privant de toute efficacité » et d’ajouter « elle serait de surcroit contraire à l’esprit du texte, la prise d’une hypothèque venant atténuer le risque pris initialement par le créancier… ».
Ainsi, si le montant de la mise à prix ne doit pas préjudicier au débiteur saisi, il n’en demeure pas moins que la mise à prix doit également être protectrice des intérêts du créancier qui, à défaut d’enchères, sera déclaré adjudicataire du bien au lieu de percevoir l’argent en remboursement de sa créance.
A cette fin de juste équilibre entre les intérêts du créancier poursuivant et ceux du débiteur saisi, il est parfaitement justifié que le créancier fixe une mise à prix attractive, en vue d’attirer le plus grand nombre d’enchérisseurs à l’audience d’adjudication et voir ainsi les enchères augmenter autant que possible.
Cette décision a depuis lors été confirmée.