80% des déclarations de soupçon sont générées par les banques. Nicolas Feit, Directeur Général de Société Générale Private Banking Monaco, explique comment cela se passe concrètement pour un établissement de gestion de fortune.
Concrètement, si la banque a des soupçons sur une opération, comment peut-elle intervenir ? Retarder une opération ? Refuser de l’exécuter ? Qui prend alors la décision, le gestionnaire ou la compliance ?
Lorsque le gestionnaire a un doute sur une opération, il a l’obligation d’en informer le service compliance dont les experts vont analyser l’opération et décider des actions à réaliser, tant vis-à-vis du client que vis-à-vis des autorités. Cela nécessite une sensibilisation forte de nos équipes commerciales sur les sujets de conformité, et une relation fluide entre les équipes commerciales et compliance. En complément, notre équipe conformité est dotée d’outils d’analyses transactionnelles qui filtrent les opérations de nos clients et évaluent les alertes ainsi remontées en fonction de divers scénarios.
Par la suite, lorsque la banque confirme son soupçon, elle prévient les autorités, en l’occurrence l’AMSF*, qui décidera des suites à donner. De même, la loi précise bien qu’en cas de doute, la banque doit s’abstenir de réaliser l’opération.
De la même façon, en cas de soupçons sur une opération qui ferait potentiellement l’objet d’une tentative de fraude ou qui serait en lien avec une action cybercriminelle, les équipes locales de risques opérationnels et sécurité de l’information pourront être sollicitées afin de réaliser des analyses complémentaires, avec l’aide si besoin, des services centraux.
A quel moment une opération devient-elle suspecte ? Vous évaluez le risque en fonction du risque réputationnel de l’établissement ?
La réputation d’un établissement n’est pas un critère d’analyse d’une opération. La loi et les lignes directrices de l’AMSF sont très claires à ce sujet. Sur cette base, de nombreux critères peuvent rentrer en compte afin de considérer une opération comme suspecte et la déclarer aux autorités.
Au-delà des obligations légales, quelles mesures spécifiques a pris Société Générale à Monaco ?
Bien évidemment, notre banque privée (Société Générale Private Banking Monaco) et notre banque de détail (SG Monaco) ont mis en œuvre l’intégralité des mesures imposées par nos obligations monégasques. En complément, en tant que filiale du Groupe Société Générale, elles peuvent appliquer des mesures plus restrictives si demandées par le groupe et ne rentrant pas en contradiction avec les dispositions monégasques. L’une de nos mesures par exemple a été de veiller à la bonne répartition des fonds de commerce de nos conseillers, notamment afin de veiller à ce que nos banquiers aient la bonne expertise en fonction du risque de leurs portefeuilles de clients.
Ces contrôles sont-ils rentrés dans les mœurs ? Comment réagissent les clients à toutes les demandes d’information (identité, origine des fonds) ?
Nous ne rencontrons plus vraiment de difficultés dans l’exercice de nos diligences auprès de notre clientèle. Cela va en cohérence avec les efforts de pédagogie des autorités et de nos banquiers.
Existe-t-il une sensibilité différente en fonction des nationalités des clients ?
La clientèle internationale multi-bancarisée est très familière et habituée aux diligences KYC** des banques.
Combien de déclarations de soupçon avez-vous faites cette année ?
Nous ne communiquons pas ce type de données, mais il est à noter que les autorités monégasques ont reçu en 2022 plus de 900 déclarations de soupçons, dont 80% générées par les banques.
Que se passerait-il si Monaco figurait sur la liste grise du Gafi***?
Au-delà du risque fort d’image et de réputation pour la place, l’impact serait selon nous modéré sur notre clientèle et leurs opérations domestiques, notamment car notre niveau d’exigences est déjà élevé. En revanche, il apparaît fort probable que cela impacterait les transactions internationales effectuées par nos clients, notamment en raison de contrôles plus denses de nos correspondants bancaires. En attendant, nos équipes participent activement à l’ensemble des actions et initiatives prises par les autorités afin de répondre aux exigences de Moneyval. Dernière en date, Société Générale à Monaco a été établissement pilote pour le déploiement de l’outil GoAML de déclarations de soupçons.
* Autorité Monégasque de Sécurité Financière
**Know Your Customer : connaissance clients
***Groupe d’Action FInancière
Milena Radoman