Agents immobiliers, banquiers, assureurs, MFO, bijoutiers ou casinos… Tous les professionnels assujettis à la loi anti-blanchiment sont tenus de connaître les risques liés à leur activité et à leur clientèle.
1- Les produits ou les services risqués par nature
« Certains produits ou services proposés par l’établissement peuvent présenter un risque plus élevé », rappelle l’AMSF selon qui le risque de chaque produit ou service doit « s’apprécier en fonction » notamment de son niveau de transparence ou d’opacité offert et de son utilisation à des fins de blanchiment. « Les services de nominee shareholder proposés par un TCSP seront ainsi considérés comme étant à risque car ils peuvent complexifier l’identification des bénéficiaires effectifs. Autres exemples : les antiquités mises en vente par un marchand d’art pourraient être considérées comme un produit à risque dès lors qu’il est difficile d’en retracer la provenance et/ou de retracer l’origine des fonds utilisés pour l’acquérir. Ou encore pour un négociant de biens, la vente de montres de luxe pourrait être considérée comme un produit à risque du fait de la valeur unitaire importante de certaines montres et de l’existence connue d’organisations criminelles actives dans la vente de ce type de produits. »
2- La clientèle à risque
Afin d’identifier les risques associés à leur portefeuille de clients, y compris aux bénéficiaires effectifs de leurs clients entités, les professionnels doivent notamment prendre en compte la nature de la clientèle, son secteur d’activité tout comme sa réputation (les clients font-ils l’objet de sanctions internationales, d’informations défavorables émanant de sources externes, sont-ils impliqués dans des affaires criminelles ou dans des procédures judiciaires en cours ?). « Les Personnes Politiquement Exposées (PPE qui ont exercé, au minimum, au cours de l’année écoulée, une fonction publique importante) constituent, par nature, des clients à risque plus élevé compte tenu de leur position d’influence et de leur exposition accrue au risque de corruption », rappelle l’AMSF selon qui les professionnels doivent être particulièrement vigilants dans certains secteurs. « Un client sur huit est une PPE selon l’Évaluation Nationale des Risques dans le secteur du Yachting / Chartering. »
Enfin, le comportement de la clientèle peut également soulever des questions : « Existent-ils des clients qui se montrent réticents à partager des informations sur leur identité ou l’origine de leur fortune ? Des clients présentent-ils une attitude suspecte ? Des clients demandent-ils des produits ou services qui ne paraissent pas logiques ou adaptés sur le plan économique ? »
3- Les conditions de la transaction posent question
Les moyens de paiement utilisés peuvent faire monter le risque de la transaction d’un cran. « Par exemple, les paiements en espèces constituent, par nature, un moyen de paiement à risque. Au contraire, les paiements par carte bancaire ou par virement présentent un niveau de risque moins élevé du fait de la traçabilité qu’ils permettent », observe l’AMSF.
Autre signal : le montant, le volume et la fréquence des transactions. « Plus les montants, le volume et la fréquence des transactions sont importants, plus le risque auquel est exposé l’établissement sera élevé ».
De la même manière, la complexité des transactions est à prendre en compte. « Les transactions, impliquant plusieurs contreparties ou plusieurs pays, seront considérées comme étant plus à risque que des transactions simples (transactions nationales ou versements réguliers par exemple). »
4- Les canaux de distribution utilisés sont bizarres
« Lorsque la relation avec la clientèle peut être nouée via des intermédiaires ou apporteurs d’affaires, le risque lié au BC/FT-C est accru car cela peut nuire à la connaissance qu’a l’établissement de ses clients. On note que le recours à des intermédiaires qui ne sont pas soumis aux dispositions de la loi n°1.362 modifiée ou à des dispositions équivalentes est un facteur de risque accrue de BC/FT-C.
Lorsqu’une relation avec le client est établie à distance (par téléphone ou par email), le risque lié au BC/FT-C est accru, notamment en raison du risque plus important d’usurpation d’identité », indique l’AMSF. Exemple : « Lors de la location de navires de plaisance, certains professionnels assujettis peuvent proposer des services ou opérations pouvant entraîner la manipulation d’argent liquide, c’est le cas par exemple pour les opérations de caisses de bord, qui peuvent parfois atteindre des montants importants. En effet, les paiements en espèces ou la manipulation d’espèces constituent, par nature, un moyen de paiement à risque, au contraire, des paiements par carte bancaire ou par virement qui présentent un niveau de risque moins élevé du fait de la traçabilité qu’ils permettent. »
5- Les pays et zones géographiques louches
L’analyse des risques associés aux pays et zones géographiques suppose une prise en compte des pays ou territoires de résidence de la clientèle, de nationalité mais aussi d’origine ou de destination des fonds. « A minima, le professionnel doit considérer comme pays ou territoires à haut risque les pays dont le dispositif de LCB/FT-C présente des carences stratégiques qui font peser une menace significative sur le bon fonctionnement du système financier, Les pays dont la législation est reconnue insuffisante ou dont les pratiques sont considérées comme faisant obstacle à la LCB/FT-C ». Les professionnels peuvent également se référer à la liste GAFI des pays ou territoires à haut risque et non coopératifs ou autres rapports d’évaluation des organismes régionaux de type GAFI (tel que Moneyval). Dans le yachting/chartering, « les navires sont fréquemment détenus par des sociétés enregistrées dans des paradis fiscaux. Ces états ou pays présentent des normes de transparence financière assez faibles et de faibles réglementations en termes de fiscalité ou en termes de normes de travail », illustre l’AMSF.
Des obligations de vigilance à l’égard de la clientèle et des opérations
Pour tous les professionnels
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- Lorsqu’il y a soupçon de BC/FT-C
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- Lorsqu’ils nouent une relation d’affaires, c’est-à-dire une relation qui est censée s’inscrire dans la durée
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- Lorsqu’ils exécutent un transfert de fonds ou une transaction d’un montant supérieur ou égal à 15 000 € (qu’elle soit effectuée en une seule ou en plusieurs opérations entre lesquelles semble exister un lien)
Pour le secteur des jeux d’argent
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- Lors de la collecte de gains
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- Lors de l’engagement d’une mise
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- Lorsqu’ils concluent une transaction d’un montant supérieur ou égal à 2 000 € (que la transaction soit effectuée en une ou plusieurs opérations qui semblent liées)
Pour les commerçants de biens
Lorsqu’ils exécutent une transaction en espèces d’un montant supérieur ou égal à 10 000 € (que la transaction soit exécutée en une seule ou plusieurs opérations qui semblent liées)
Quand les professionnels assujettis jouent aux détectives…
L’AMSF est catégorique : pas question de se contenter de vagues informations. Le professionnel assujetti doit collecter des informations précises sur l’activité du client. Par exemple, « pour l’origine du patrimoine du client, dans le cas de détention de biens immobiliers, le professionnel ne doit pas simplement indiquer que le client détient des biens immobiliers, il est attendu qu’il détaille les localisations, types et utilisations des biens détenus. » Mais aussi l’origine du patrimoine du client (par exemple : héritage, activité professionnelle, investissements mobiliers…) et des fonds impliqués dans la relation ou l’opération (par exemple : un compte personnel au nom du client dans un pays X, une vente immobilière, etc.). « En effet, au-delà des documents d’identité récoltés, le professionnel a l’obligation de connaître son client, la nature des produits ou services utilisés par ce client et la raison pour laquelle ce client a choisi ce produit ou services. »
Alerte sur les opérations atypiques
Les professionnels doivent se montrer particulièrement vigilants sur les opérations dites « atypiques ». Une vente immobilière à un prix extrêmement sous-évalué par rapport au marché local ; un dépôt d’espèces important suivi de retraits fréquents, par un client dont la nature de l’activité ne nécessiterait pas de tels mouvements ; le refus d’un client de présenter certaines pièces justificatives, relatives à l’origine des fonds impliqués dans une transaction, l’origine de son patrimoine ou son identité… sont autant d’opérations suspectes, pour l’AMSF. Pour le gendarme anti-blanchiment monégasque, il faut se poser des questions lorsqu’une opération est complexe (un montage financier destiné à opacifier l’origine des fonds impliquant par exemple plusieurs personnes morales ou trusts avec une chaîne de détention complexe, à travers plusieurs pays) ; lorsqu’elle est opérée selon un schéma inhabituel, ou encore lorsqu’elle n’a pas d’objet économique ou licite apparent. « Cela peut être le cas notamment lorsqu’aucun avantage ne semble apparaître pour le client suite à cette opération, ou encore lorsque l’opération n’a aucun rapport avec l’objet social de la personne morale concernée », observe l’AMSF.
Milena Radoman