La principauté et l’UE ont mis fin aux négociations entamées en 2015 en vue d’un éventuel accord d’association.
La nouvelle a eu l’effet d’une bombe. Le 15 septembre dernier, un communiqué annonçait la « suspension » des négociations entre Monaco et l’Union européenne, dans le cadre du mandat qui courait depuis 2015. « Au terme d’un échange franc et cordial, les participants ont dressé le constat partagé d’une impossibilité de concilier les exigences de l’Union européenne avec les lignes rouges arrêtées par S.A.S. le Prince dès l’ouverture de ces discussions, qui visent à s’assurer du maintien des conditions actuelles de vie, de travail et de logement des nationaux et des résidents en Principauté. Dans ce contexte, les deux parties ont convenues que les conditions n’étaient pas réunies (…) pour conclure un accord », indiquait le Gouvernement, dans un communiqué. Laissant alors Andorre et Saint-Marin discuter en duo avec Bruxelles.
Les huit années de négociations, mises un temps en stand-by par les épisodes Brexit et Covid, n’ont donc pas suffi à faire bouger les lignes des négociateurs européens, bloquées sur le dogme du respect des quatre libertés. « Nous avons progressivement constaté qu’il y avait un fossé, une distance importante entre nos positions respectives, et nous avons conclu ensemble que ce n’était pas la peine de continuer (…). On a cru, pendant quelque temps, qu’un certain pragmatisme pouvait l’emporter »,a précisé le Ministre d’État Pierre Dartout, quelques jours après, à la conférence de presse du Gouvernement. « Il n’y a pas eu de volonté de la Commission Européenne d’écarter Monaco, tout comme il n’y a pas eu la volonté de Monaco de rompre avec celle-ci (…). La suspension des négociations ne veut pas dire que Monaco tourne le dos à l’Europe », a ajouté le Ministre, afin d’éclairer l’opinion sur l’état d’esprit des parties, quant à la suite des événements.
Et maintenant ?
La Principauté compte bien poursuivre le dialogue avec Bruxelles, mais sous quelle forme et dans quel cadre ? Tout dépendra des desideratas des futurs membres de la Commission européenne renouvelée à la suite des élections européennes de mars 2024. « Nous sommes toujours animés par le souci d’avoir un partenariat avec l’Union européenne, quelle qu’en soit la forme. Mais une forme qui acceptera les principes fondateurs de l’État monégasque. Il faut rester très ferme sur les lignes rouges, c’est ce qui fait la spécificité de ce pays, sa prospérité, son équilibre social. Quelle sera la position de l’UE ? Nous ne pouvons l’anticiper… Avec une nouvelle Commission, de nouvelles initiatives peuvent apparaître… »espère Pierre Dartout.
Vers des accords sectoriels ?
Si les élus du Conseil National« encouragent le Gouvernement à poursuivre le dialogue en vue d’éventuels futurs accords sectoriels qui n’engageraient pas la pérennité du modèle » monégasque, pas sûr que cette solution résonne favorablement du côté de la Commission européenne. « Je ne pense pas qu’elle ait une vision à ce sujet car cela pourraitêtre revendiqué immédiatement par un autre pays (…) En face, on peut avoir des positions de principe afin de ne pas créer de précédent pour d’autres pays », estime le Ministre d’Etat. La Commission avait été échaudée par le casse-tête conventionnel avec la Suisse. L’UE ayant passé 130 accords sectoriels avec la confédération helvétique avant une tentative avortée de négocier un accord d’association global pour faciliter les échanges…
Les conséquences d’un non accord
Cette hypothèse avait d’ailleurs été prise en compte par l’étude d’impact d’un non-accord, dont les conclusions ont été rendues publiques cet été. Le Gouvernement avait en effet mandaté les cabinets August Debouzy et Accuracy pour réaliser une étude prospective, basée sur différents scenarii (accord/non accord) et leurs conséquences économiques, juridiques et politiques pour la Principauté. « On peut penser que la Commission manifestera peu d’empressement à répondre aux demandes de reconnaissance d’équivalence (entre le droit monégasque et le droit de l’Union) que formulerait la Principauté, par exemple en ce qui concerne le RGPD (les services de la Commission considérant qu’ils avaient raisonné jusqu’ici dans la perspective d’une transposition complète du RGPD par Monaco dans le cadre de l’Accord d’association). De même serait-il difficile pour Monaco de solliciter la négociation de nouveaux accords sectoriels dont le besoin apparaitrait dans les années à venir (l’Union avait adopté cette attitude de non-disponibilité à négocier de nouveaux accords sectoriels avec la Suisse, à la suite du rejet par celle-ci du projet d’accord-cadre) », détaille ainsi l’étude des cabinets August Debouzy et Accuracy.
Les consultants estimaient alors que « ce sont moins des mesures négatives, a fortiori des sanctions, que l’on doive craindre dans le cas d’un renoncement à l’Accord d’association du fait de Monaco, qu’une attitude moins coopérative et plus attentiste de la part de l’Union, en particulier de la Commission, à l’égard des éventuels demandes ou besoins de la Principauté ». Pourquoi l’Union européenne prendrait-elle des mesures de rétorsion si la décision de suspendre les négociations a été prise à deux ?
Michel Barnier : « Les spécificités peuvent être entendues au bout de la route »
Hasard du calendrier, c’est le jour-même de la suspension des négociations avec l’UE que Michel Barnier, ancien Commissaire européen (au Marché intérieur et aux Services de 2010 à 2014), était reçu au Palais princier. La veille, le négociateur en chef du Brexit, invité du Monaco Press Club, livrait sa vision de l’Europe et du Brexit devant un parterre de 80 personnalités monégasques. Une vision d’autant plus intéressante quand on sait que certains des membres de l’équipe négociatrice du Brexit étaient en charge de discuter avec les autorités monégasques d’un éventuel accord d’association… Pour celui qui fut quatre fois Ministre de la République, « c’est une illusion de croire que l’on peut défendre ses intérêts et ses valeurs en étant tout seul dans le monde d’aujourd’hui. Le marché unique est notre principal atout et la seule raison pour laquelle les Présidents chinois et américains nous respectent », a lancé Michel Barnier, appelant à « ne pas confondre le divorce qu’a été le Brexit, avec le PACS éventuel que négocie Monaco ». Pour l’auteur de « La grande illusion, journal secret du Brexit » (Gallimard), la Commission européenne, « très rigoureuse sur le respect des règles », doit « tenir compte de l’identité et de la spécificité de chacun des pays qui discutent avec l’Union ». « La singularité de Monaco doit être plaidée. Il faut l’expliquer à Bruxelles aussi longtemps qu’ils ne prennent pas la mesure du risque que les Monégasques soient exclus ou dépossédés du destin de Monaco. (…) J’ai souvent dit que le Brexit était une école de patience et de la même manière, peut-être que les négociations
Miléna Radoman