Selon l’ambassadeur de France à Monaco Jean d’Haussonville, toutes les questions liées à la mobilité seront évoquées lors des commissions bilatérales, locale et nationale, qui se dérouleront à l’automne. Rappelant que « tout grand projet met 10 à 15 ans à être livré » …
Comment l’Etat français aborde-t-il cette problématique de mobilité et l’accessibilité de la Principauté ?
L’Etat français est très conscient de la dynamique économique de Monaco, bassin d’emploi pour la région PACA. La politique de mobilité fait l’objet de nombreuses discussions entre le Ministre d’Etat monégasque et le Ministre français des transports ainsi que dans le cadre des commissions franco-monégasques. Un plan de modernisation des trains et des TER existe. La SNCF met en place une nouvelle technologie, l’ERTMS, qui va permettre un doublement des cadences et d’augmenter de moitié la desserte de Monaco à partir de 2027. Le Léman Express a ainsi déjà considérablement amélioré la desserte des villes entre la France et la Suisse.
Pour vous, la desserte transfrontalière franco-suisse est un bon exemple de comparaison ?
Il y a 250 000 ou 300 000 transfrontaliers français qui se rendent en Suisse par train, voiture ou bateau. Leur participation au PIB suisse représente 4%. C’est considérable. On pourrait faire le même calcul avec les 42 000 transfrontaliers français qui viennent travailler à Monaco.
La priorité est donnée au train. Quid des autres modes de transports ?
La priorité est effectivement la modernisation des TER et le déploiement de l’ERTMS mise en place en 2027. 2027, c’est demain par rapport à un grand projet qui mettrait 15 ans à être mis en œuvre comme un métro. Tout grand projet met 10 à 15 ans à être livré. Aujourd’hui, le Gouvernement français est saisi d’une seule proposition monégasque : la liaison express de La Brasca.
Mais je tiens à dire que ce qui me frappe aujourd’hui dans le débat public, c’est que je vois peu de chiffres sur la quantification des besoins. La première chose serait de savoir s’il y a un consensus des collectivités territoriales sur les usages attendus. On parle beaucoup du moyen technique, mais peu de la prévision du besoin en 2040. L’économie monégasque progresse de 4,4% sur 10 ans. Cette croissance va-t-elle se poursuivre sur 10 ou 15 ans (soit +50% du PIB) ? Si oui est-elle consommatrice d’emplois délocalisables avec le télétravail ou s’agit-il de métiers d’exécution ? Quel type d’équipement serait alors nécessaire en fonction de ces besoins à venir ? La décision finale reposant sur l’effet de décarbonation par rapport à la faisabilité technique et au coût du projet…
Reste que la population salariée galère tous les jours sur la route ou par train…
Je vous rejoins totalement. Je l’ai expérimenté… La première préoccupation est sociale. C’est une question de respect des personnes, du monde du travail. Par ailleurs, le dernier forum de l’emploi l’a encore confirmé : on ne trouvera pas de main d’œuvre à Monaco si les conditions de mobilité sont insuffisantes. Il y a un vrai risque de brider la croissance si on a n’a pas les ressources humaines nécessaires. On en revient à comment la Principauté se projette dans 15 ans. On est dans une Principauté, un régime politique incarné. Il faut avoir une vision dans la durée par rapport aux institutions politiques existant à Monaco.
Le nombre d’emplois français pèse dans la balance ?
Si l’on passe de 60 000 emplois à 100 000 et qu’on parle de 30 000 emplois français supplémentaires, c’est un argument très fort. Les deux prochaines commissions bilatérales, locale et nationale, auront lieu à l’automne. Et le sujet sera évoqué.
La nouvelle bretelle d’autoroute a mis énormément de temps à se mettre en place. Comment accélérer les choses pour projets futurs ? Certains maires réclament de la décentralisation effective…
On peut d’abord se féliciter de la livraison de ce projet et saluer la détermination de ceux qui l’ont soutenu tout au long des années. Il faut beaucoup de détermination et de volonté politique pour faire aboutir un projet. Il faut savoir ce que l’on veut. Il y a bien sûr un sujet de simplification des normes et des processus de décisions, le Gouvernement le reconnait.
L’attractivité de Monaco risque-t-elle de prendre un coup si la Principauté est inscrite sur la liste grise du Gafi ?
Même s’il y a un moment difficile à traverser avec Moneyval et le Gafi, l’important est que la Principauté soit sur le chemin d’une croissance saine. On voit l’engagement des autorités monégasques exécutif, législatif, judiciaire, sous l’autorité du Prince, pour faire face aux obligations internationales. C’est la seule voie possible qui permettra à la place financière de Monaco d’être une place vertueuse, ce qui ne peut être que bon pour la croissance à l’avenir.
Quel est votre pronostic ? Comment votera la France ?
Le Gafi juge par rapport au mérite et non par rapport aux alliances politiques. Il faut être clair. On a changé d’époque. Il y a une grande sensibilité des gouvernements à la lutte contre le blanchiment, surtout avec la guerre en Ukraine… Je souhaite que l’issue soit positive. Si elle ne l’était pas, l’important c’est le cap pour en sortir à une échéance de trois ans si l’on tient compte des étapes judiciaires en termes de confiscations effectives de biens. Quoi qu’il arrive, Monaco a tous les éléments pour être sur un chemin de croissance vertueuse dans les années qui viennent. Je tiens à saluer le bilan économique remarquable du règne du Prince Albert II. L’intérêt économique de la France, c’est la prospérité et la stabilité de la Principauté réunie autour du prince.
Monaco a interrompu la négociation sur l’accord d’association avec l’UE, c’est dommageable pour l’attractivité de la Principauté ?
C’était la décision la plus sage de la part de la Principauté. Le Gouvernement a suspendu la négociation avec beaucoup de tact. Ne pas injurier l’avenir est important.
Miléna Radoman